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au sud-ouest et percée d’innombrables roches, les unes lissées par le frottement des eaux, les autres assombries par de verdâtres chevelures d’algues et de goëmons. Ce désert silencieux fourmille d’êtres animés. Les flancs de ses rochers sont tapissés de coquillages, le homard en habite les crevasses, le lançon se cache sous les sables, et les heures de la retraite de la mer sont remplies par une chasse à laquelle les habitudes maritimes du pays conservent le nom de pêche. Cependant un frémissement imperceptible signale dans le calme de la molle-eau la première onde du flot qui s’avance ; la marée s’allonge insensiblement sur le bas des grèves et enveloppe avec lenteur les roches les plus avancées ; bientôt elle croît en élévation et en vitesse, et, pénétrant dans des chenaux et des échancrures dont la cavité échappait à l’œil, elle change de minute en minute la figure du sol qu’elle rétrécit : sa marche s’accélère ; des courans rapides s’établissent dans les passes ils s’enflent, s’élargissent, heurtent avec violence les roches qu’ils vont recouvrir ; ils se précipitent surtout dans le lit du Kerpont, ouvert entre la rive occidentale de Bréhat et l’île Béniguet et y forment un fleuve droit et profond dans lequel vont s’engager les bâtimens destinés à la baie de Saint-Brieuc, qui attendent en louvoyant l’heure du passage. Les roches submergées se signalent par les tournoiemens de l’eau, les autres blanchissent sous l’écume que leur lancent les vagues irritées ; le tumulte est à son comble, mais il conduit à l’équilibre que cherche la mer ; il diminue graduellement ; tout se calme enfin ; l’île ne domine plus que des eaux tranquilles, parsemées d’îlots, et montre aux navires qui, six heures auparavant, n’apercevaient du large que son enveloppe de granit, sa verdure et ses toits hospitaliers.

La forme de l’île se rapproche beaucoup à ce moment de celle d’un 8 capricieusement dentelé, et sa longueur n’est, du nord au sud, que de 3,700 mètres. Elle était autrefois divisée en deux îles qui se touchaient presque par leurs pointes les plus aiguës. Vauban, dans un de ses jours de repos, les réunit en une seule par une digue à laquelle la reconnaissance des habitans a donné son nom. Il est résulté de cette opération un avantage maritime en même temps qu’un avantage territorial. Le Pont-Vauban forme le fond du port de la Corderie, qui s’ouvre à l’ouest, sur le bras de mer qui conduit à la rivière de Portrieux ; il est devenu le centre du groupe d’habitations le plus nombreux de l’île, et a donné une capitale à cette petite république.

Le granit qui sert de base à l’île perce de tous côtés en roches aiguës la couche d’argile et de sable dont il est recouvert. Dans ces étroites limites s’élèvent 434 maisons : 139 hectares seulement sont à l’état de culture, et la propriété est divisée en 6,542 parcelles. La violence des vents d’ouest oblige les Bréhatais à protéger par des murailles leurs vergers et leurs plantations ; grâce à cette précaution, les arbres fruitiers