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ce vaste abri la chose essentielle qui lui manque, c’est-à-dire deux entrées se suppléant réciproquement suivant l’état de la mer, la direction des vents, le but et le point de départ des navires. Dans l’état actuel du Ferlas, les grands navires n’entrent guère dans la rivière de Pontrieux que par des vents qui leur en interdiraient la sortie, et n’en sortent que par des vents qui n’en permettraient pas l’entrée. Une semblable condition est exclusive de toute importance militaire et laisse les bâtimens marchands exposés, comme une proie facile, à toutes les entreprises des corsaires à vapeur. C’est bien moins faute de ports que de rades et d’abris que notre côte est dans une condition si inférieure à celle de la côte opposée d’Angleterre ; de là sont venus la plupart des malheurs que nos armes et notre commerce ont éprouvés dans la Manche : nous ne saurions donc aborder avec trop de sollicitude et poursuivre avec trop de persévérance la correction des vices naturels qui neutralisent les avantages d’une station aussi bien placée que celle de Bréhat. Le Ferlas, si bien décrit dans les cartes hydrographiques du Pilote français, n’a pas encore été, que je sache, étudié sous ce point de vue. Les roches qui l’obstruent sont en petit nombre, et gisent à 2 ou 3 mètres au-dessous du niveau de la basse mer ; elles retiennent entre elles des masses considérables de débris et de coquilles de madrépores qui, suivant la force et la persistance des vents ; marchent tantôt vers l’entrée, tantôt vers le fond du canal. Vauban a pu s’arrêter devant cet obstacle : de son temps, l’art de l’ingénieur offrait peu de moyens de le lever. Il est aujourd’hui permis d’être moins timide : d’autres roches sous-marines que celles du Ferlas ont été arrachées, et aucune entreprise de ce genre n’avorte plus faute d’instrumens ; les difficultés à vaincre aiguisent les esprits, la lutte les anime, la nécessité d’atteindre le but découvre, pour y parvenir, des voies inespérées. Le déblai du Ferlas doterait la côte de Bretagne d’un de ces ports de refuge accessibles à tous vents et à toutes marées que l’Angleterre multiplie à grands frais partout où elle croit avoir à sauver un navire ou à dresser une embuscade, et je m’abuse beaucoup s’il existe un seul point de notre littoral où un pareil établissement rendît plus de services et fût moins dispendieux à former.

Si le projet de déblai du Ferlas exige des études assidues et d’assez longs préparatifs, il en coûterait peu d’améliorer le Kerpont, ce passage étroit, mais sûr, qui coupe à l’ouest le plateau de Bréhat et réunit la rade du midi au grand chenal de l’ouest. Le milieu du Kerpont est traversé par deux bancs étroits de granit qui découvrent à mer basse : en les enlevant, on augmenterait d’une heure par marée le temps pendant lequel le passage est praticable, et ce serait un notable avantage pour les navires de la côte occidentale de la baie de Saint-Brieuc, qui prennent tous les jours cette voie.