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pour la vie renfermée des fabriques : il lui faut l’air du ciel, la paix des champs, le retentissement de la mer, et jusqu’aux brumes et aux écueils blanchis d’écume de ses rivages : il réussit dans tout ce qui le rapproche de ces éternels objets de ses affections ; il ne recueille en dehors que mécomptes. Aussi les branches les plus humbles de l’industrie agricole et de l’industrie navale sont-elles ici susceptibles de prendre des développemens spéciaux, et la culture maraîchère des environs de Saint-Brieuc n’est point celle dont il y a le moins à attendre. Cette culture est renommée dans toute la Bretagne : les facilités qu’elle fournissait pour la formation des approvisionnemens de bord contribuèrent, dès le règne d’Henri IV, à imprimer dans la baie l’essor aux armemens pour la pêche de la morue, et de nos jours les besoins des équipages des terreneuviers ont, par un juste retour, élargi les débouchés de la culture. L’industrie maraîchère s’étend actuellement sur presque toutes les communes du canton de Saint-Brieuc ; comme dans le voisinage immédiat de Paris, elle se combine avec la culture des céréales, des fourrages, des racines, et l’on pourrait prétendre sans exagération qu’elle a quadruplé depuis quarante ans les produits du sol qu’elle occupe. Elle s’applique principalement aux choux et aux oignons ; mais l’art d’approprier ces légumes au service des voyages de long cours n’a pas pris la même extension que celui de les faire croître. Si la marine bretonne a besoin de choucroute, elle la fait venir de Strasbourg, et lorsque des procédés nouveaux, mettant des substances alimentaires d’un usage éphémère en état de traverser le temps et l’espace, ouvrent le commerce du monde à ce qui n’était que le commerce d’une province, ce pays, pour lequel ils semblent inventés, ne paraît pas s’en douter. Des légumes frais exposés à une température de 40 à 50 degrés se réduisent, par la vaporisation de l’eau qu’ils contiennent, au sixième de leur poids primitif, et, comprimés ensuite à la presse hydraulique, ils se condensent jusqu’à la pesanteur spécifique de 0,65 ; c’est à peu près celle du bois de sapin. Conservés dans cet état pendant plusieurs mois, pendant plusieurs années, transportés sous les latitudes les plus diverses, ils reprennent, par la simple immersion dans l’eau tiède, le volume, le poids, la saveur et jusqu’à l’aspect qu’ils avaient perdus[1]. Pour ne citer ici que des faits officiellement constatés par l’administration de la marine, des choux embarqués sur l’Astrolabe le 29 janvier 1847 et revivifiés en janvier 1851 ont été trouvés très bons ; les légumes mis en expérience à Cherbourg ont si bien repris leur couleur et leur flexibilité naturelle, qu’ils semblaient nouvellement cueillis ; quelques-uns avaient, à s’y méprendre, l’aspect des légumes frais. On ne sent quelle heureuse influence doivent exercer

  1. Voir les Mémoires de l’Académie des sciences, t. XXXII, 1851.