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usine perfectionnée, établie sur le Gouet auprès de Saint-Brieuc, commence à donner des exemples que ses concurrens devront suivre sous peine de tomber.

Le dernier point abordable de la côte en-deçà du cap Fréhel est un petit port qui n’a point encore obtenu la part d’attention due à son passé, et, si je ne m’abuse, à son avenir. Le joli village d’Erquy s’élève sur l’emplacement de la Rheginea de la table théodosienne. Des médailles, des fragmens de mosaïques trouvés dans le sol, des tronçons de voie romaine alignés dans la direction de Corseult sont les seuls vestiges connus de cet établissement maritime et militaire des Romains. Les anciens du village prétendaient, au commencement de ce siècle, avoir encore vu des débris de murailles de la ville antique mis à découvert par les marées des équinoxes. Quelle que soit la valeur de ce témoignage, il vaudrait mieux, à juger de l’ancien état de la plage par les traces de l’action qu’y exercent les élémens, chercher les restes de Rheginea en arrière qu’en avant du rivage. Les sables poussés par les vents d’ouest, ont comblé le fond de l’anse ; elle pénétrait autrefois beaucoup plus avant qu’aujourd’hui dans les terres : le port romain ne pouvait pas être ailleurs qu’à la place où l’on ne voit plus qu’une lagune, et la ville dont il était le cœur devait lui être adjacente.

Erquy est situé au pied de gracieuses collines, au fond d’une anse ouverte à l’ouest entre les roches de la Houssaye et un cap élevé qui l’abrite du nord par une saillie de deux mille mètres ; l’anse, qui a cinq cents mètres d’ouverture et mille de profondeur, s’arrondit sur une plage sablonneuse. L’entrée est masquée du côté du large par des écueils entre lesquels s’ouvrent quatre passes très sûres pour qui les connaît. En dehors de l’anse, le cap abrite des vents d’amont une petite rade où l’on mouille par quatre à cinq brasses d’eau, sur un très bon fond de sable. Cette rade a servi de refuge à Duguay-Trouin dans une des actions aventureuses de sa jeunesse. Il commandait le Coëtquen de 18 canons, et avait pour matelot un bâtiment d’égale force. Ayant fait rencontre, au nord de l’île Bréhat, de trente navires marchands conduits par deux corvettes anglaises, il se chargea de l’escorte et livra le convoi à son compagnon. Les deux corvettes enlevées, il regagnait l’île avec quatorze prises, lorsque survinrent cinq bâtimens de guerre anglais qui lui en reprirent deux. Duguay-Trouin, pour dégager son camarade qui ; les roches de Bréhat mettaient suffisamment à couvert, prit chasse devant les Anglais et les conduisit droit à Erquy : ceux-ci connaissaient mal l’atterrage ; les plus opiniâtres manquèrent se briser sur les roches dont il est semé, et, après quelques jours de blocus, ils perdirent patience et s’éloignèrent. Cela se passait en 1692 ; Duguay-Trouin avait par conséquent dix-neuf ans. Les Anglais ne se sont depuis lors que trop familiarisés avec ces parages :