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reconnues nécessaires, les troupes de Mostaganem, d’Orléansville et de Tenez combinent leurs manœuvres pour atteindre et frapper l’ennemi.

C’est pour prendre part à l’une de ces opérations que notre colonne venait de se diriger vers le Dahra. Elle s’en allait poursuivre Bou-Maza de concert avec le colonel de Saint-Arnaud, et ramener le calme dans ces tribus que la présence du chérif avait mises en émoi. Le général de Bourjolly faisait sur la route rentrer quelques impôts en retard, et nous étions depuis deux jours arrêtés au milieu de rians jardins, près de la source d’Aïn-Tetinguel, dont les eaux, jaillissant d’une roche à fleur de terre, vont, après une course d’un quart de lieue, se jeter dans la mer.

La réunion était peu nombreuse ce soir-là chez Mustapha. Deux de ses parens, l’Hadj-Mohamed et Mnley-Brahim, toujours associés à ses courses et à ses aventures, écoutaient les paroles qu’un étranger prononçait à voix basse, comme s’il eût redouté une oreille indiscrète. Dès que nous parûmes au seuil de la tente, l’étranger se tut; mais Mustapha lui dit alors : — par le sans crainte; ceux-ci sont mes amis, et le secret m’est inconnu pour eux.

Cet homme jeta sur nous un regard de défiance et sembla hésiter un moment. Il avait le nez recourbé comme le bec d’un aigle; l’ovale de son visage était allongé, les pommettes de ses joues saillantes; le front, dégagé, droit, s’arrêtait par une ligne précise sur des sourcils nettement dessinés. Rassuré (car sans doute il nous prenait pour des gens qui ne pourraient comprendre son langage), il continua ainsi : « Par mon œil, Mustapha, je te le dis, je l’ai vu, et le frémissement a couru mes os. — Le Bou-Maza est parti, il y a quatre jours passés, quand le soleil venait de se coucher. Cent cinquante de ses cavaliers le suivaient, ayant pour guide Aïssa-Bel-Djinn, heureux de venger dans la mort les douleurs que Bel-Cassem avait amenées sur les siens. Leur haine, tu le sais, était profonde, et plus d’une fois ces frères d’une même tribu ont essayé leurs forces; les Sbéahs[1] sont prompts à la colère, et l’injure chez eux appelle toujours le sang. Les cavaliers marchèrent la nuit entière, et, à la première aube du jour, les canons de leurs fusils entouraient la tente de Bel-Cassem. — Aux aboiemens des chiens, nous saisîmes nos armes et courûmes à la défense; mais il était trop tard, et, sautant sur Bel-Cassem, ces ravisseurs le renversèrent. Quand des cordes eurent étroitement serré ses membres, ils amenèrent au Bou-Maza celui que les Français avaient nommé leur caïd. Alors j’ai entendu ceci : — C’est toi, Bel-Cassem, qui as semé le mal et servi le chrétien. L’heure du châtiment est arrivée pour toi.

« Bel-Cassem, élevant la voix, répondit : — Hier, j’envoyais vers toi

  1. Tribu très sauvage et toujours en querelle, établie moitié dans le Dahra, moitié sur l’autre rive du Chéliff.