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précipité de l’orchestre faisait atteindre le paroxysme de l’exaltation aux danseuses, qui tombaient étourdies dans une agitation nerveuse singulière.

Je trouvai ces danses plus originales que gracieuses : c’étaient des mouvemens brusques et désordonnés qui tenaient du délire. Quand enfin la fatigue eut réduit les danseuses au repos, je pus examiner tout à mon aise la manière dont elles étaient accoutrées. Leurs vêtemens étaient tous taillés sur le même patron. Ce que j’en vis me parut fort simple ; le prince, par ses explications, eut la bonté de suppléer à ce que je ne voyais pas. Les femmes persanes ne portent pas de chemises ; elles ont seulement un corsage juste qui serre la taille et la dépasse un peu, de manière à retomber sur la jupe. Sur la poitrine, les deux côtés de ce corsage ne joignent pas ; ils y laissent un intervalle un peu plus large que la main, que remplit une pièce d’étoffe indépendante de la veste, et qui s’y attache à volonté au moyen d’agrafes. Une large jupe, serrée au-dessus des hanches, traîne sur les pieds. Leurs cheveux sont taillés droit, au-dessus des sourcils, et pendent en longues nattes par derrière. Elles y ajoutent des fleurs, des rubans ou d’autres ornemens. Une grande beauté, fort recherchée des Persanes au point qu’elles s’efforcent de se la donner par des moyens factices quand la nature la leur a refusée, c’est d’avoir les sourcils très allongés et joints au-dessus du nez. Cette disposition des sourcils est d’ailleurs assez naturelle parmi les femmes de l’Irân.

Les dames persanes, à en juger par celles de l’anderoûn où je me trouvais, m’ont paru avoir de très petites bouches, de belles dents, les traits généralement fins et doux, et les yeux très fendus. Elles ont l’habitude de se peindre en noir le bord intérieur des paupières et de prolonger dans les coins la ligne noire qu’elles tracent à la racine des cils au moyen d’une petite pointe très fine trempée dans du noir. Les plus raffinées se placent des mouches et se mettent du rouge. Toutes se teignent les mains d’une couleur orange avec du hennèh, teinture qu’on leur apporte de l’Inde. Elles se font ainsi comme des gants jusqu’aux poignets. La plante des pieds subit la même opération, de manière à figurer un soulier, et les ongles sont peints avec du carmin.

Il se faisait tard ; le médecin qui m’avait amené me fit signe qu’il fallait partir, et nous fîmes nos adieux aux deux princes ainsi qu’aux dames, qui furent plus gracieuses en nous rendant nos saluts qu’elles ne l’avaient été à notre apparition au milieu d’elles. Nous suivîmes le labyrinthe à travers lequel nous étions venus, et nous nous retrouvâmes à la petite porte qui s’était mystérieusement ouverte pour nous laisser pénétrer dans ce saint asile. Elle se referma, sans doute cette fois pour ne jamais se rouvrir devant aucun autre homme, surtout devant aucun autre Frengui, car ce sont de ces mystères qu’on ne