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quand ils entrent dans un divân, la place qu’ils doivent occuper : ils traversent, sans rien dire, l’appartement, et vont, sans se méprendre, se placer après ou avant ceux qui sont déjà là. Les nouveaux venus agissent à l’égard du maître comme celui-ci agit vis-à-vis d’eux. S’ils sont ses égaux, ils croisent leurs jambes ; s’ils lui sont inférieurs, ils s’asseoient sur leurs talons. Quant aux gens de la basse classe et aux domestiques, ils se tiennent debout, collés contre la muraille à l’autre extrémité de la salle, la main dans leur ceinture ou appuyée sur leur poignard, et n’ouvrent la bouche que pour répondre au maître, s’il les interpelle. La loi qui règle les rapports des Persans entre eux et les politesses qu’ils se doivent est tellement rigoureuse, qu’un fils même doit rester debout devant son père et ne pas lui parler avant qu’il y soit autorisé. Dans ces assemblées, les kalioûns circulent fréquemment, et quelquefois on offre le thé ou le café, dont on mêle les arômes au parfum de la rose ou de la cannelle.

Un Persan prend habituellement son repas dans son anderoûn. Quelquefois il arrive qu’il fait servir son déjeuner ou son dîner dans le divân-i-khânèh, au milieu de ses visiteurs, qui deviennent ses convives. On étend sur le tapis une grande nappe qui est en coton, en soie on en cachemire, selon l’opulence de la maison. Les mets se composent de ragoûts de viande aromatisée ou de poulets et d’œufs, auxquels on ajoute presque toujours des plats de pilau ou de riz préparé de plusieurs façons, tantôt simplement au beurre, tantôt avec des raisins, des amandes ou du safran et d’autres épices. Les Persans mangent avec les doigts de la main droite seule, la gauche étant considérée comme impure. Ils ne se servent ni de couteau, ni de fourchette, ni d’assiettes ; devant chaque convive est placé un pain très mince, rond, ressemblant assez à une crêpe, qu’ils mangent et qui leur sert en même temps de serviette. Ils boivent de l’eau ou des espèces de sorbets et de limonades. Cependant le Koran n’est pas partout religieusement observé, et bon nombre de Persans boivent avec intempérance du vin ou des liqueurs spiritueuses. Le soir ou les premiers momens de la nuit sont d’ordinaire le moment choisi pour ces libations contraires à la loi musulmane. Les Persans ne savent pas boire sans s’enivrer ; le vin ne leur suffit pas, il leur faut l’arak ou l’eau d’Europe, âb frengui, qui n’est autre que l’eau-de-vie. Leurs orgies ne finissent jamais que par la chute des convives, qui tous succombent à l’ivresse.

Chez les riches, pendant le repas, on fait venir deux ou trois musiciens : l’un d’eux chante sur un rhythme monotone, entrecoupé de notes aiguës, des poésies dont les femmes, l’amour, le vin et les héros font les frais. Les instrumens qui accompagnent le virtuose sont un tambourin, une mandoline ou une sorte de viole. Le concert de ces instrumentistes est peu harmonieux ; leur jeu est presque constamment