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vif et saccadé, et il faut avoir des oreilles persanes pour ne pas se sentir les nerfs désagréablement surexcités par les grincemens criards du violon et les accens aigus des autres instrument. Néanmoins, quelque barbare que soit cette musique, quelque égaré que soit le sentiment de la mélodie chez les Persans, il en est de cet art comme de tous les autres ; on voit qu’il les charme, qu’ils y sont sensibles, et que, s’ils se contentent du savoir-faire de leurs musiciens, c’est faute de mieux. Leur nature se prête merveilleusement à recevoir de plus délicates impressions. Si la musique est restée chez eux en arrière, il y a deux raisons pour cela : la première, c’est qu’elle n’est pas un art d’imitation comme la peinture ; elle exige une science et des connaissances qui ne sont pas arrivées jusqu’en Perse ; la seconde, c’est que la pratique musicale est réprouvée et abandonnée aux loutis, c’est-à-dire aux bateleurs ou aux malheureux qui n’ont point d’autre moyen d’existence. Il y a donc très peu de concurrence et d’imitation, partant point de causes de développement.

Les festins et les visites se partagent, on le voit, la journée de tout Persan que la fortune a placé en dehors des classes vouées par nécessité au travail. Il y a cependant une force qui domine, parmi ces populations oisives, l’influence des appétits matériels et le goût traditionnel du far niente ; cette force, c’est la foi religieuse, qui a conservé en Perse toute l’ardeur, toute l’énergie des anciens temps. Il sera aisé, en peu de mots, de montrer combien les doctrines de l’islamisme sont appropriées au caractère persan et peuvent exercer sur les habitans de l’Iran une action salutaire.

On sait en quoi consiste le schisme qui sépare les Persans des Turcs et les fait considérer par ceux-ci comme d’abominables hétérodoxes[1]. Quoi qu’en disent les Turcs, les Persans reconnaissent le dogme et les grands principes de l’islamisme, tels que les a établis Mahomet. Les dissidences portent sur des questions plutôt encore historiques que religieuses, sur les droits d’Ali à la succession du prophète, comparés à ceux d’Aboubekhr et d’Omar. Quant aux traits caractéristiques de l’islamisme, ils subsistent chez les Persans comme chez les Turcs. Nous nous bornerons à les rappeler. Le Koran n’admet d’autre Dieu que Dieu, créateur de toutes choses, seul être auquel doivent s’adresser le culte et les adorations des hommes. Il admet des anges, c’est-à-dire des êtres surnaturels placés entre le Tout-Puissant et le genre humain, pour lequel ils intercèdent au ciel. Le démon a aussi sa place dans les croyances musulmanes, comme génie malfaisant autour duquel se groupent les djins ou divs, génies d’un ordre inférieur[2]. Un point

  1. Voyez à ce sujet Téhéran et Ispahan dans la livraison du 15 septembre 1851.
  2. La croyance au démon s’est développée, chez certaines peuplades de la Perse, au point de l’emporter sur celle de Dieu, et il existe, au nord de la Mésopotamie principalement, des sectes chez lesquelles l’idée de la puissance du démon a tourné en une idolâtrie stupide, si bien que, sous le nom redouté de Cheîtân, Satan y est imploré, adoré même de préférence à Dieu. Ces singuliers sectateurs d’une foi diabolique portent le nom de Yezidis. Ils prétendent, pour expliquer leur culte, que, le démon ayant le pouvoir de faire le mal, de nuire aux hommes en dépit de la puissance divine, on fait sagement en l’adorant, afin de détourner les maléfices. Il est fort probable que les Yezidis sont d’anciens idolâtres mal convertis à l’islamisme, et que le culte pour le démon est un reste de l’antique religion de cette partie de l’Asie qui reconnaissait deux forces divines sous lesquelles devait se courber le genre humain, celle du bien personnifiée dans Ormuzd, et celle du mal représentée par Ahrimân. Les Yezidis sont d’ailleurs redoutables par la sauvagerie de leurs mœurs. Ils jouissent, au milieu des peuplades qui les avoisinent, d’une très mauvaise réputation que leur ont justement méritée leurs brigandages et certaines pratiques abominables que réprouvent également la raison et la morale, quelle que soit la religion qui les inspire.