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I

Aussi long-temps que les élémens de l’unité nationale seront seulement juxtaposés, non encore amalgamés ; aussi longtemps que la langue en travail et l’éducation du génie français seront dirigées par l’usage, la parole et le peuple, au jour le jour, selon le hasard des événemens, pendant tout ce temps les traditions classiques n’exerceront pas grande influence. Durant la période qui suivra le premier élan de la langue enfin formée, la littérature nouvelle, tout imprégnée d’une vitalité énergique, tout ardente dans sa jeunesse et irrésistible dans son originalité instinctive, s’élancera encore, dans des voies inconnues aux traditions : son œuvre et ses tendances seront de regarder en elle, autour d’elle, et à cette époque ce sera elle qui dominera le génie latin. Les souvenirs classiques n’arriveront sur la scène, que revêtus ridiculement de la livrée du moyen-âge, déguisés en chevaliers, alchimistes ou bourgeois du XIIe siècle. Ainsi grandira une littérature simple et vraie, littérature réaliste, naïve, active et fine, portée à l’idéalisme pourtant, comme tout ce qui est jeune et plein de foi. Quelques nouveaux élémens, analogues à son essence, se réuniront à elle dans le courant de son développement ; ils amèneront la malice et la joie matérielle : la naïveté, en s’exagérant, deviendra plus tard la brutalité et l’obscénité ; mais les traditions classiques se tairont pour un temps, elles ne continueront la lutte que sourdement, et en s’introduisant au cœur de la littérature nationale par un progrès imperceptible.

C’est cette littérature nationale qui, à rapproche de la renaissance et du triomphe définitif des influences classiques, leur livrera un dernier combat. Les divers instincts qui sont en présence depuis des siècles, se séparant plus nettement, laisseront voir distinctement alors pour la première fois les doctrines qui ambitionnent le gouvernement de l’avenir littéraire. Deux écoles arrivent en présence : — l’une, école savante, comprend les écrivains, précurseurs de la renaissance, elle amène sur le terrain du combat les traditions classiques défigurées et déformées par leur passage à travers le moyen-âge ; — l’autre, école réaliste, est composée par les successeurs des trouvères, elle met en œuvre ce qui reste du génie national amoindri et alourdi, lui aussi, par l’influencé sourde qu’ont exercée sur lui ces traditions. Elles accourent donc toutes deux sur le champ de bataille avec la trace des blessures qu’elles se sont faites dans l’ombre et des mutilations réciproques qui résultent de leur long contact.

Les traditions classiques ne sont pas, en effet, à la fin du moyen-âge, la continuation du génie de Plaute, de Juvénal et d’Horace, elles sont la continuation de la basse latinité. C’est la décadence métaphorique de Stace et d’Ausone développée dans sa tendance logique par les grammairiens du moyen-âge, par les Donat, les Prïscien, les Viliedieu, les Alain de Lille. Cette décadence avait encore reçu une impulsion plus active par l’usage qu’en avaient fait la scolastique, les écoliers et régens de l’université, et les compendieux faiseurs de thèses élégantes. Le latin, devenu ainsi un cours complet de métaphores, abondant du reste, mais lourd et empesé, avait été gracieusement accueilli à la fin du XIVe siècle par la lourde, pédante et prétentieuse littérature