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ne se sont pas trompés sur les ridicules de cette poésie ; ils les définissaient clairement : « Ces escumeurs de latin, » dit Geoffroy Tory ; « ces fricasseurs de latin, ces excoriateurs de la langue latine, » disaient Rabelais et Estienne Dolet ; et celui qui les a le plus philosophiquement jugés, c’est Marot, quand il les appelait ces « écrivains si goulus de la peau de ce povre latin. »

Tels étaient les précurseurs, de la future littérature française, et telle est incontestablement l’origine de la renaissance. Cette école savante harcelée par le génie national, raillée par les esprits lestes, sans cesse mise en mouvement et travaillée par les influences, trouvères, cette école, ainsi forcée à activité malgré mon obésité magistrale, va s’amincissant jusqu’au règne de François Ier. Là elle se perdra dans une école médiocre et sans invention, mais laborieuse, et mathématique ; Jacques Pelletier, Maurice Scève, Philippe Habert, tous ces auteurs ennuyeux et corrects qui se placent entre Marot et la pléiade, débarrasseront l’école savante de ses lourds vêtemens, de sa chair parasite ; ils l’équarriront, la poliront avec la doloire, comme l’indique la devise de l’un d’eux. Estienne Dolet, et ils en feront un corps sec et sans grâce, mais sagement et solidement charpenté. Ronsard viendra alors, qui donnera une ame à ce corps dont nous venons de voir l’embryon grossier et difforme au XVe siècle. Ce ne sera plus alors le bavardage franco-latin des universités du moyen-âge ce sera le génie latin compris et saisi dans son essence, et raffiné encore par l’élégance de l’esprit grec et l’harmonie de la littérature italienne. Tout cela produira la riche poésie de la pléiade, ces études du cœur humain si admirablement généralisées par Racine, cette langue claire, facilement expressive et souple de Voltaire ; mais était-ce là que devait aboutir le génie national ? Non sans doute. La renaissance, en donnant la prépondérance aux traditions classiques, préparait pour notre avenir littéraire des fièvres et des convulsions. Notre littérature ne sera jamais exactement appuyée sur les mœurs qui ne se prouveront jamais autant qu’elle nivelées et asservies au génie antique, et les instincts du populaire, qui ne seront plus représentés dans la littérature générale, seront exploités par une littérature à part, sans génie, sans progrès possible et sans utilité pour le génie national ; ils resteront ainsi sans direction, ou seront malheureusement égarés dans des tentatives tantôt absurdes, tantôt odieuses.

Au XVe siècle, les traditions classiques trouvaient en face d’elles ces mêmes instincts populaires, mais plus dignement représentés ; et si l’amour de la science était énergique, s’il était protégé par les événemens politiques, honoré, récompensé par l’admiration et les richesses il n’était pourtant pas encore entré profondément dans les mœurs générales. Il se concentrait encore dans une classe spéciale, la plus élevée et la plus puissante sans doute ; mais c’était, pour les traditions classiques, plutôt une promesse de domination dans l’avenir que l’occupation complète du présent. La longue guerre contre les Anglais avait en quelque sorte replacé les esprits dans la position où ils étaient au commencement du moyen-âge ; les instincts se retrouvaient à peu près les mêmes ; les troubles civils avaient brisé en quelques endroits le niveau qui allait peser sur le monde moderne et avait ainsi réveillé l’originalité individuelle, en même temps que cette vie de luttes avait retrempé la tendance