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nouvelles idées livraient, dans leur ame, aux anciennes doctrines, représente dans l’école l’homme, la vie, la lutte intime, et c’est incontestablement ce que la philosophie de l’histoire doit montrer et éclairer tout d’abord. Les autres, au contraire, comme Coquillart, ne représentent que la cité, ou, comme Gringore, ils accompagnent l’histoire contemporaine, ils montrent les instincts nationaux de la littérature luttant contre les accidens de la politique ; mais, pour les uns comme pour les autres, les côtés littéraires,les idées et les doctrines caractéristiques sont obscurcis par les évènemens de la cité et de la politique, et c’est surtout le côté littéraire qui nous préoccupe. Roger de Collerye, lui, le développe complètement et franchement, non pas, à la manière d’un homme de génie : rappelons-nous que jamais homme de génie n’a représenté une école, il n’a représenté que lui-mêmê ; ce sont seulement les hommes de talent qui peuvent se courber à la règle, habiller fidèlement l’idée de cette école et la découvrir à l’histoire.


II

Une des lois les plus tristes, dans l’histoire littéraire, c’est.cette nécessité de la souffrance qui domine la fin de chaque cycle littéraire et qui s’attache aux écrivains nés à cette mauvaise heure ; c’est sans doute la destinée vulgaire de ce monde, que, toute fin y soit douloureuse et toute vieillesse caduque, mais cette destinée s’appesantit plus rudement encore sur la littérature. Les derniers trouvères ne reçoivent plus au XVIe siècle ces récompenses prodiguées à leurs ancêtres les poètes guerriers et les conteurs du moyen-âge, les récompenses de la poésie, les joies de l’amour et les joies de l’orgueil. C’est qu’ils ne sont pas venus quand leur doctrine littéraire florissait : ils étaient les derniers artisans d’une poétique méprisée ; leur génie ne trouvait pas l’atmosphère favorable pour fleurir et s’étendre du côté où l’appelait sa nature. Leur talent dévoyé, leur caractère aigri par l’insuccès, les jetèrent dans la misère et la solitude. Ils exagérèrent ainsi leur nature dans le mauvais sens, et ils agitèrent dans le vide ou dans la boue une activité, qui n’avait pas trouvé sa vocation, ses devoirs et la récompense de ses devoirs.

Telle est la loi de toute période littéraire qui finit. Roger de Collerye subit toutes les douleurs de cette décadence. Pour lui, obscurité est restée profonde. La misère de sa vie l’a suivi dans l’histoire, et il a aussi froid dans sa tombe que dans sa chambrette où,

Sous un froid vent, comme un coq il se huche ;

on croirait qu’il a prévu sa destinée, et les plaintes qui sortent des souffrances de son existence semblent sortir aussi de sa mémoire abandonnée :

Le desnué d’habits, de corps et reste,
N’est pas en point pour se trouver en feste
Ni se montrer aux gens dignes d’honneur ;
Mais au bon Dieu qui donne le bonheur
De luy aider souvent fait sa réqueste
Le desnué.