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De son ennuy personne ne s’enqueste,
Délaissé est comme une povre veste,
Et bien privé d’un libéral donneur
Le desnué.

Pour composer épistres rien n’acquieste
Moins en rondeaulx où gist toute sa queste ;
Recommandé n’est d’aucun sermonneur,
Plus esbahy se voit qu’un ramonneur
Qui peu de biens en ce monde conqueste
Le desnué.

Ces vers sont l’histoire de toute sa vie, et c’est une vraie et singulière prophétie de son obscurité. C’est lui qui a endossé la livrée de misère de ce cycle littéraire ; il rit et il pleure, c’est le fou de l’école. Les larmes sèchent bien vite du reste, car la pauvreté, la misère corporelle ne tuent pas la gaieté ; la gaieté renaît après l’angoisse du froid, et le rire habituel ne s’enfuit pas à l’aspect du pain noir. Roger de Collerye rira donc après la faim et le froid, car la misère du cœur n’est pas encore inventée, c’est une maladie moderne. Au moyen-âge, les poètes n’avaient pas encore fait de la femme l’idole qui devait les dévorer ; ils ne connaissaient en elle que l’épouse et la maîtresse, ils ne connaissaient pas l’amante ; la femme, pour eux, c’était l’instrument méprisé d’un plaisir momentané, ou la reine honorée du foyer domestique. Le génie littéraire français n’adorait pas encore la femme ; mais l’adoration allait entrer chez nous, d’abord au XVIe siècle dans l’école de Ronsard, par l’influence langoureuse de la poésie italienne, par Pétrarque. Elle allait produire la femme poétique et la joie de l’amour ; puis la femme adulée se ferait bien elle-même la femme coquette, et à la fin du XVIIIe siècle l’influence allemande allait transformer l’amour en une sorte de douloureuse adoration. Quant au bohème du XIXe siècle, s’il chante la femme à son tour, c’est pour faire sortir de son cœur les larmes demandées par son école littéraire et fournies par quelque misérable courtisane qu’il aura fardée de ses crédules rêveries. Sa misère s’habillera des haillons de sa maîtresse, il ne saura pas ce que c’est que la gaieté, et ce sera le bohème du XIXe siècle. Roger de Collerye ne connaît point encore toutes ces tristesses du cœur et de l’esprit : il est le bohême d’un autre âge. Il est bien pauvre ; les amitiés et les promesses de sa jeunesse se sont enfuies par tous les trous de son triste réduit ; aucune souffrance ne lui a été épargnée :

Le froid m’assault et m’est un peu bien aigre,
Mes habits sont tout doublés de vinaigre,
Mes créanciers en ont eu la toison.
La croix sur moi nullement je ne porte ;
La pile aussi me quitte et se transporte
Où il lui plaist et m’a habandonné ;
Je frappe assez au guichet, à la porte,
Et néanmoins il ne m’est rien donné.
Le tout ouï et en bon sens réduit,