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mal éditées ne se trouvent guère que dans quelques rares bibliothèques, ce poète a laissé dans l’histoire une trace lumineuse qui ne s’éteindra jamais. Il a créé un type national, un type cher à l’esprit français, celui qui représente le mieux cet esprit dans son état de calme et joyeux loisir. Il a créé le type de Roger Bontemps, ou plutôt il s’est incarné dans ce type. Il s’est introduit, pour ainsi dire, dans le personnage traditionnel de Bontemps, le symbole de la joie chez les vignerons de la Bourgogne, le mari de la Mère-Folle et le grand-père de tous les allègres loppinants de l’infanterie dijonnaise. Tous les suppôts de l’abbé des fous ; d’Auxerre, tous les basochiens, clercs du Châtelet, enfans sans soucis ; sots attendans, toute cette grande famille de philosophes sans chaussures et de gais meurt-de-faim, tous ces mignons festus et goguelus, acolytes de la Mère-Folle, tous étaient ses camarades, et tous ces fous, archifous, lunatiques, hétéroclytes, esventés, poètes de nature et autres légitimes enfans du vénérable père Bontemps, tous reconnurent leur idole dans la jovialité, la pauvreté sans tristesse de Roger de Collerye. Ils ajoutèrent à leur fiction traditionnelle son nom de baptême, Roger, et il est ainsi devenu Roger Bontemps, le Roger Bontemps des chansons. La renaissance, qui a tué son talent et son école, n’a pu prévaloir contre ce type national, qu’elle a néanmoins négligé, ainsi que tous les types particuliers dans sa littérature officielle :

Je suis Bontemps qui d’Angleterre
Suis ici venu de grant erre
En ce pays de l’Auxerrois.

C’est ainsi qu’il s’annonce, et, dans une autre pièce, il se montre tout entier :

Or, qui m’aimera si me suive ;
Je suis Bontemps, vous le voyez :
En mon banquet nul n’y arrivé
Qu’il n’ait ses esprits fourvoyés
Gens sans amours, gens desvoyés
Je ne veux ni ne les appelle.
Je ne reçois en mon convive
Que tous bons rustres avoyés.
Moy, mes suppots, à pleine rive
Nous buvons d’une façon vive
A ceux qui y sont convoyés.
Danseurs, saulteurs, chanteurs, oyez ;
Je vous retiens de ma chapelle.

Telles sont les idées générales qui peuvent faire comprendre le caractère de Roger de Collerye. Il faut maintenant entrer dans les détails de cette vie de bohème au XVIe siècle. La destinée de Collerye, qui, jeune, a connu un moment les tristesses de l’amour, que l’âge mûr et la misère ont ramené à la poésie leste de ses ancêtres, qui est revenu avec la vieillesse à cette autre tradition du moyen-âge, la pensée de Dieu, nous présente à la fois le côté moral et le côté littéraire de la lutte contre la renaissance.