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accoutumés, tantôt indiquait sur une carte au général de Bourjolly le tracé du terrain, tantôt lui désignait du doigt les pays environnans. Du point où nous étions arrêtés en effet, la vue s’étendait au loin, et l’on découvrait le plateau de Bal, une des positions stratégiques les plus importantes de ce réseau de montagnes. Large et fertile, ce plateau avait pour base des escarpemens rocheux et boisés. Des ravines difficiles ne permettaient de l’aborder que par d’étroits sentiers, et de ce point central une marche de quelques heures pouvait porter les troupes, au gré du chef, dans plusieurs vallées différentes. C’était du côté de la mer, entrevue par une échappée d’horizon, au-delà de l’escarpement de gauche, sur les contreforts de la grande montagne des Ouled-Youness, que la colonne d’Orléansville avait livré son troisième combat aux cavaliers du chérif. Les compagnies de chasseurs d’Orléans s’y étaient trouvées la veille très vigoureusement engagées.

« Il n’y a pourtant qu’un homme de plus! » disait Louis XIV apprenant que Vendôme, à peine arrive en Espagne, avait déjà rétabli les affaires de la France en gagnant une bataille. A la guerre en effet, un vaillant chef, secondé par de braves soldats, devient le Briarée de la fable, le géant aux cent bras, dompteur du péril. Ce fut pour les chasseurs d’Orléans une heureuse chance d’avoir à leur tête le 18 le commandant Canrobert[1] : la rapidité de son coup d’œil, la précision de ses ordres, son énergique entrain, la confiance qu’il leur avait inspirée à tous depuis long-temps, les tirèrent du danger. Le 18, la colonne d’Orléansville s’était établie sur le plateau de Bâl. — A deux heures et demie, le colonel de Saint-Arnaud ordonna deux reconnaissances. L’une d’elles, confiée au commandant Canrobert, devait s’avancer dans la direction du sud-ouest, et, si l’on ne découvrait point l’ennemi, traverser le ravin de l’Oued-Met-Mour, puis fouiller les contreforts du piton des Ouled-Youness. Quelques spahis comme éclaireurs et trois cents hommes d’infanterie formaient l’effectif de la petite troupe. Les spahis n’avaient signalé aucun ennemi; l’on traversa l’Oued-Met-Mour. Sur le flanc droit, la section de carabiniers qui formait l’avant-garde fut

  1. Le commandant Canrobert se faisait remarquer par sa présence d’esprit dans les circonstances critiques. Le trait suivant peut en donner l’idée. En 1848, alors colonel des zouaves, il se rendait du poste d’Aumale à Zaatcha pour prendre sa part du siège. Le choléra s’était mis dans sa colonne et la décimait pendant la marche. On avançait avec peine, et les bêtes de somme étaient encombrées de mourans. On vint l’avertir, au moment le plus pénible, que les tribus nomades du sud se disposaient à l’attaquer. Il fallait à tout prix éviter l’engagement, car les transports manquaient pour les blessés. Le colonel aussitôt prend ses dispositions de combat, et, partant en avant avec son interprète, fait crier aux nomades ces paroles : — « Vous autres, sachez-le, je porte la peste avec moi, et, si vous ne me laissez passer moi et les miens, je la jette sur vous. » Les Arabes, qui depuis plusieurs jours pouvaient suivre la trace de la colonne aux tombes fraîchement creusées, saisis de terreur, n’osèrent attaquer et laissèrent passer.