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mieux dans le génie, national, l’école qui nous occupe n’avait pas eu ce bonheur, elle se plaisait trop à l’allégorie morale.

Un autre défaut sépare encore ces poètes des écrivains du moyen-âge ils ne peuvent plus arriver à la simplicité ; leur style n’est plus seulement l’apparence de leur pensée ; il semble avoir contracté certains tics nerveux, comme s’il conservait le caractère des choses qu’il dit ordinairement. Il suit de là que la phrase n’est plus un monologue où la pensée parle seule à l’aide d’un instrument docile et qui s’efface, mais un dialogue où la forme rétive défigure plus ou moins l’exactitude de la conception. Il faut que ce style dise quelque chose, et il ne peut plus exprimer les pensées seulement ordinaires, celles qui ne descendent pas jusqu’à la trivialité ou ne montent pas jusqu’à l’énergie. Enfin, comme l’expression la plus ordinaire de cette école a été la gaieté, il se trouve souvent derrière les phrases calmes et tranquillement graves, dans les épitaphes par exemple, une grimace involontaire qui simule l’ironie et critique le défunt dont on veut sincèrement et vulgairement faire l’éloge.

Ce manque de simplicité et de docilité dans la forme est bien plus apparent dans l’école rivale : c’est le défaut ordinaire des vieilles écoles ; des méthodes et des rhétoriques longuement dominatrices, comme des hommes qui ont parcouru long-temps une carrière occupée et absorbante. On le retrouvera sans doute bien plus marqué à certaines époques de notre histoire littéraire ; mais on peut constater dès maintenant, que cette tyrannie de la partie technique constitue la plus curieuse différence qu’il y ait entre les trouvères et leurs descendans du XVIe siècle.

Roger de Collerye a introduit son caractère propre dans les principes de son école, et c’est là toute son œuvre littéraire. Il est arrivé r ce résultat singulier, d’être imitateur et original en même temps, et il y est arrivé par une personnalité fort accusée, unie à un talent littéraire, moins élevé. Il faisait de la littérature avec les accidens de son existence, mais en prenant pour modèles la manière et les formules de ses voisins. C’était une sorte d’intelligence paresseuse et qui acceptait servilement le cadre et les couleurs d’autrui. Le bohème était original en ceci, qu’il mettait son portrait sur les épaules et sur le pourpoint de son maître Coquillart. C’est ce dernier en effet dont les œuvres exercèrent sur lui la plus grande influence. Ce Coquillart avait une sorte de génie coquet, allègre et séduisant ; une intelligence maligne, observatrice des choses extérieures ; c’était plutôt un peintre qu’un écrivain, et, son style toujours paré, haut en couleurs, courait avec une joyeuseté infinie, comme un jeune seigneur qui va montrer de nouveau bijoux à une nouvelle maîtresse. Ce langage était si leste, et cette littérature s’arrêtait si gracieusement aux habits des choses, qu’elle devait exercer la plus séduisante influence sur les amateurs de réalité extérieure. Coquillart avait été, au temps de la jeunesse de Collerye, l’homme illustre de la Champagne et de la Bourgogne, et sa renommée n’avait pas moins que son style ébloui le secrétaire de l’évêque d’Auxerre. Pierre Gringore, qui cachait, dans cette langue incomplète du moyen-âge la profondeur de pensée d’un grand poète, Gringore aussi avait eu sur lui une certaine influence, mais plus tardive et moins prononcée.

Cependant, quoique d’un talent moins fécond et d’un esprit moins étendu que Coquillart, Roger de Collerye remportait peut-être sur lui, en profondeur