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conquête définitive, nous avons marché beaucoup plus rapidement que Rome elle-même ; et si, dans cette conquête, nous avons suivi le même système, la guerre sans trêve et sans repos, nous avons pour la colonisation procédé différemment, car la colonisation romaine a toujours, en Afrique, été essentiellement militaire, tandis que chez nous, à part quelques essais confiés à l’armée, elle est restée purement civile.

Les premiers émigrans furent plutôt un embarras qu’un élément de prospérité. Inquiétés sans cesse par les Arabes, épuisés de fatigues et souvent dénués de tout, quelques-uns furent réduits à vivre de soupes faites avec les restes du pain des soldats. Le nombre d’ailleurs en était restreint. C’est seulement à dater de 1838 que les ouvriers et les cultivateurs français, encouragés par le ministère de la guerre, commencèrent à prendre la route de l’Algérie. Le passage gratuit fut accordé à tout chef de famille ou homme valide ayant un métier qui pût le faire vivre, et du travail fut préparé pour les nouveaux colons en attendant qu’ils pussent trouver à s’établir. L’invasion de la Mitidja en 1839 paralysa ce premier essor, et il faut attendre la fin de 1842 pour que les efforts de la colonisation, très circonscrite jusqu’alors, commencent à se développer avec une certaine activité. A, dater de cette époque, malgré quelques ralentissemens passagers, le progrès a été de jour en jour plus sensible, et en 1850 on comptait dans la seule banlieue d’Oran cent quatre-vingt-quinze fermes ou propriétés particulières parfaitement exploitées ; dans la banlieue de Constantine, quatorze mille hectares en plein rapport. Les capitaux, qui se tournaient d’abord vers l’agiotage, la spéculation sur les terrains dans l’intérieur des villes et les constructions, se fixent maintenant sur la terre. Le décret présidentiel du 26 avril 1851 a modifié très heureusement la législation jusqu’alors en vigueur sur les concessions de terres et allégé les charges dont on avait précédemment grevé les concessionnaires ; il a simplifié les formalités sans nombre auxquelles on les avait soumis, et sans nul doute ces améliorations exerceront une influence utile sur le progrès agricole de l’Algérie, en assurant aux colons une sécurité plus grande, une accession plus facile au droit de propriété.

Il faut lire en détail dans le Tableau l’exposé des essais de culture et d’acclimatation entrepris par l’état pour se faire une idée des ressources immenses que présente cette terre fécondée par un repos de tant de siècles, et qui n’attend que des bras plus nombreux pour rendre avec usure l’intérêt de l’or qu’elle nous a coûté. Le gouvernement, pour ne rien laisser au hasard et pour épargner aux émigrans des tâtonnemens ruineux, a pris à ses risques et périls toutes les chances des expériences. Cette initiative, qui, du reste, n’apporte aucun obstacle aux essais individuels, a complètement réussi. Les productions du monde entier ont été réunies dans de vastes pépinières, comme elles le sont dans les serres de nos collections les plus riches, et toutes ont adopté l’Afrique comme une nouvelle patrie. Deux cent cinquante-huit espèces de végétaux ligneux sont aujourd’hui acclimatées, et sur ce nombre quatre-vingt-cinq appartiennent à la Nouvelle-Hollande, à la Nouvelle-Zélande, au Mexique, à la Californie, à la Chine et au Japon ; cent soixante-treize sont originaires de l’Afrique équatoriale, des Indes, de l’Amérique du Sud et des Antilles. Le gingembre, le curcuma, la colocasse d’Égypte, l’arbre à suif, le chou caraïbe,