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de toute l’Algérie. Sidi-Okla, on le sait, fut le dernier conquérant arabe de l’Afrique septentrionale. Arrivé à l’Océan par le Maroc, il jeta sa lance dans la mer en disant qu’il avait conquis le monde ; mais, attaqué à son retour, à quatre lieues à l’est de Biskara, par ces populations belliqueuses qui, à toutes les époques, ont supporté impatiemment la domination d’un maître, quel qu’il fût, il succomba dans une grande bataille, et, à la place même où il fut tué, on éleva l’édifice religieux qui porte son nom. En respectant ce monument, auquel se rattachent pour les Arabes des souvenirs de gloire, on a fait pour la paix et les progrès de notre domination autant et plus peut-être qu’on eût fait par la plus glorieuse campagne, et cette protection accordée par les vainqueurs à la foi des vaincus est, sans aucun doute, une des causes qui ont contribué à amortir les ressentimens de la défaite. La France, par son puissant esprit d’assimilation et sa tolérance, qui tient non-seulement au caractère même de la nation, mais encore à son génie unitaire, la France seule pouvait obtenir un pareil résultat ; l’Espagne eût détruit les mosquées pour bâtir des églises ; l’Angleterre eût bâti des temples sans s’inquiéter du culte des indigènes, et les missionnaires eussent donné la Bible pour prétexte à la propagande commerciale. Quant à nous, en accordant à tous les cultes une égale protection, en élevant en même temps des églises et des mosquées, nous avons montré que le fanatisme musulman n’avait plus de prétexte du moment où l’islamisme était rangé par les vainqueurs au nombre des cultes reconnus par l’état. Sur ce point comme sur beaucoup d’autres, la partie intelligente de la population arabe a senti qu’entre les chrétiens et les musulmans la dissidence ne doit point inévitablement entraîner l’hostilité, et que, si les croyances et les mœurs sont différentes, les intérêts sont identiques. On peut même dire que les Africains se sont montrés beaucoup plus tolérans que quelques-uns des Européens leurs vainqueurs, car à la tribune comme dans les livres et les journaux on a souvent demandé pour l’Algérie l’organisation, par les missions, d’une vaste propagande religieuse, en criant contre l’athéisme de la tolérance ; mais, fort heureusement pour le repos de la colonie et le sang de nos soldats, la question a toujours été écartée. Les prêtres, les membres des ordres religieux, qui sont aujourd’hui assez nombreux en Afrique, ont fait mieux que de tenter inutilement des conversions impossibles, car, dans la situation actuelle, on ne convertit pas les musulmans : ils ont su s’en faire aimer et respecter, et ils ont dignement servi la cause du christianisme par la propagande de la charité et du dévouement. Moins ardente de jour en jour dans sa haine religieuse, la portion éclairée de la population indigène a senti également qu’au point de vue du bien-être, de la sécurité, de la richesse même, l’occupation française lui offrait d’incontestables avantages. Le gouvernement s’est empressé de profiter de la disposition des esprits pour attacher les tribus à notre cause par la propriété ; il s’adresse aux chefs des familles puissantes, leur donne des terrains, comme aux colons européens, à condition de bâtir des maisons et de cultiver des terres. Ce système de colonisation par les indigènes eux-mêmes a donné des résultats satisfaisans. Dans l’espace de trente mois, les Arabes, dans la seule province d’Alger, ont dépensé environ 2,528,000 fr. pour se créer des habitations permanentes ; 1,030 maisons, dont quelques-unes