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connue en Europe. Si des ouvrages du genre de celui qui nous a guidé dans cette étude étaient plus répandus, bien des hommes qui se sentent l’ardeur et la foi du travail ne manqueraient pas de se tourner vers l’Afrique et d’y porter une vigoureuse initiative. Par malheur, on ignore complètement en France quelles sont pour les émigrans les chances véritables de succès, quelles sont pour les capitaux les chances de placemens avantageux. On ignore même les conditions qu’il faut remplir pour obtenir un modeste coin de terre sur cette terre féconde qui n’attend que des habitans.

Le moyen le plus sûr de faire prospérer l’Afrique, c’est, nous le pensons, de la faire connaître, et c’est pour cela que nous souhaiterions vivement que des livres dans le genre du Tableau, réduits à des proportions usuelles et pratiques, fussent répandus dans toutes les communes de France. Peut-on prévoir en effet l’influence que la possession de l’Algérie peut exercer dans l’avenir sur la métropole ? Si le rapprochement entre les deux peuples s’opère de plus en plus, comme on a tout lieu de l’espérer ; si l’émigration européenne, un moment détournée par la fièvre de l’or et tentée désormais par les progrès de la colonisation, reprend, de jour en jour plus nombreuse, la route de l’ancienne régence, n’est-il point permis d’entrevoir dans l’avenir l’accession d’un peuple nouveau, le peuple gallo-arabe, s’ajoutant, comme un élément rajeuni, aux variétés de la race française ? Peut-on deviner aujourd’hui ce que pourrait faire plus tard, pour la civilisation de l’Afrique, le génie contemplatif et religieux des Arabes, modifié, stimulé par le génie européen ? Peut-on deviner même la réaction qu’exercerait sur la métropole le voisinage de cette seconde France, où se sont perpétuées avec l’islamisme les traditions de l’obéissance, et où, de notre temps même, se sont formés, parmi nos soldats africains, les représentans et les défenseurs les plus énergiques des principes d’ordre et d’autorité ? Au point de vue des relations internationales, l’importance de l’Algérie n’est pas moins grande. Quand tous les états de la vieille Europe, bloqués par la paix dans leurs frontières, cherchent, aux extrémités du monde, des régions inconnues et des solitudes, comme pour abriter dans l’avenir leur décadence et leur misère, la France, à trois journées de route de ses côtes, a ouvert à l’activité de ses enfans une carrière infinie en étendue et en ressources ; elle a pu, ce jour-là, sans manquer à sa gloire, sans compromettre sa grandeur, renoncer à la frontière du Rhin. Elle n’avait plus à réclamer la rive d’un fleuve ; elle avait pris possession des cieux rives d’une mer. Sa politique était changée : elle venait, sans ébranler l’équilibre européen, de doubler d’un seul coup son territoire, et désormais elle pouvait marcher librement vers les régions du soleil.


CHARLES LOUANDRE.