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sorte officielle d’un article du Morning-Post de Londres en dit autant que l’on en peut souhaiter. Toutes les chances y sont pesées, toutes les éventualités prévues. L’une de ces éventualités est à noter : c’est qu’une transformation nouvelle du pouvoir en France serait sans doute un sujet de froissement pour quelques puissances, mais que la paix du continent ne serait point troublée tant que les traités sur lesquels repose la constitution actuelle de l’Europe seraient respectés. Nous n’avons point, cela se conçoit, le secret des chancelleries, mais nous tenons la chose pour fort probable. Quel intérêt, en effet, auraient les gouvernemens européens à rallumer des guerres de principes ? N’ont-ils pas sur leur propre sol bien des difficultés à vaincre, bien des élémens en fermentation à contenir ? Les révolutions de 1848 ont-elles donc laissé intacte leur liberté d’action, et seraient-ils sûrs de mener sur le champ de bataille des peuples bien unis et bien soumis à leur pensée ? Et, de son côté, quel avantage trouverait la France, pour sa part, à aller au-devant de ces grandes et sanglantes collisions nationales ? La modération, au contraire, ne peut-elle pas doubler l’autorité de sa parole et lui créer, dans des conditions pacifiques, un ascendant que la guerre rend souvent précaire, que la bonne politique seule assure et étend ? La guerre a sans doute ses grandeurs et ses enivremens ; elle peut souvent servir à la civilisation, témoin celle que nous continuons encore en Afrique ; mais, entre puissances continentales, la paix n’offre-t-elle pas aujourd’hui comme une carrière nouvelle et une gloire d’un autre genre à poursuivre ? N’y a-t-il pas pour les peuples européens une foule de problèmes à résoudre en commun, — problèmes de développement moral, d’amélioration pratique, de commerce, d’industrie, et jusqu’à cette terrible question du paupérisme, dont les gouvernemens du moins pourraient tempérer la gravité en s’entendant pour favoriser les émigrations et étendre au loin sur elles une commune protection ? Voilà bien de quoi alimenter suffisamment l’activité publique. Quand même il serait possible aujourd’hui de renouveler les merveilles guerrières de l’empire, on ne voudrait pas les acheter au prix des mêmes déceptions. Ces frontières resserrées par les revers de la guerre, c’est aux travaux de la paix, à l’influence morale et à l’initiative intellectuelle, si nous le pouvons, de les élargir sans cesse et de les effacer, en quelque sorte. L’entreprise est assez sérieuse pour se passer du concours de M. Elihu Burrit, qui est récemment arrivé de Londres, tout effaré et muni d’innombrables adresses, pour empêcher d’en venir aux mains l’Angleterre et la France, sur le point d’être brouillées par les intempérances du Times. Qu’est-ce donc, direz-vous, que M. Elihu Barrit ? C’est, à ce qu’il parait, un débris héroïque du congrès de la paix. Le congrès de la paix, autre création de 1848 mise au rebut, et qui, durant ces années étranges, porta son existence ambulatoire de Paris à Francfort, de Francfort à Londres, pour fonder la concorde universelle et humanitaire, et pour régénérer l’éducation publique en empêchant les enfans de jouer au soldat, — comme le voulait M. Cobden ! le congrès de la paix nous manque aujourd’hui ; en retour, nous avons M. Elihu Barrit, qui en résume l’esprit et qui s’interpose courageusement comme un paratonnerre pour amortir les foudres du Times. Acte méritoire, après lequel il ne reste plus qu’à revenir aux choses sérieuses !

C’est aujourd’hui même que le prince-président commence son excursion