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un volant que le joueur renvoie à l’aide d’une raquette vers son compagnon. Pour faire prévenir le colonel de Saint-Arnaud, un homme dévoué et hardi était nécessaire, car l’ennemi entourait le bivouac. Si-Hadj-Moktar, vieux cavalier du marghzen, rompu à toutes les ruses, fut mandé à la tente du lieutenant-colonel.

— Écoute, lui dit-il, et retiens mes paroles. Voilà une lettre pour le colonel d’Orléansville. Peux-tu passer et la porter?

Hadj-Moktar réfléchit un instant, puis reprenant :

— Quand la nuit sera venue, s’il plaît à Dieu, je passerai, et demain au point du jour ils auront la lettre.

— Que veux-tu pour ta récompense?

— Je suis vieux et mes jours sont comptés. Vous m’avez donné la nourriture et le vêtement, je n’ai besoin de rien; mais, si je laisse ma vie dans l’entreprisse, jure-moi que ta protection couvrira ma vieille mère.

— Quoi ! rien pour toi?

— Que me faut-il à moi ! Non, rien.

— Tu as ma parole.

Et le vieux cavalier à barbe blanche passait heureusement, pendant la nuit, à travers les lignes ennemies. — Dès que le colonel de Saint-Arnaud eut pris connaissance de la dépêche, il donna ses ordres, d’après la position occupée par le lieutenant-colonel avec son habileté accoutumée, et se mit en mouvement. Tout réussit comme les deux chefs l’avaient pensé : les Kabyles, pris tout à coup entre deux feux, eurent à supporter des pertes nombreuses, et le soir les deux colonnes partageaient le même bivouac.

Au milieu de ces combats et de ces marches de chaque jour, l’œuvre laborieuse avançait cependant. Le 10 mai, quittant le général Pélissier, venu de Mostaganem, le lieutenant-colonel Canrobert marchait vers les Achachas, les seuls du Dahra qui n’eussent pas de nouveau subi le joug. Douze compagnies sans sacs gravirent les pentes boisées, et, formant l’éventail sur le plateau, au milieu des vergers de figuiers et des lentisques, marchèrent dans la direction de la mer. Plus d’une fois les difficultés du terrain les arrêtèrent, et des Kabyles embusqués en profitèrent pour tirer en sûreté. Enfin l’on atteignit les escarpemens du rivage. Dans ces grandes roches bizarrement entassées comme un chaos, on voyait les Kabyles courir et ramper. Les soldats, ardens à la recherche, fouillent les replis; ces fanatiques se défendent avec acharnement : chaque pierre est un rempart, chaque ravine un abri; le cercle pourtant diminue, le serpent resserre ses anneaux. A travers ces rochers qui par instans se creusent et s’entr’ouvrent pour s’entasser plus loin en blocs énormes surplombant la mer elle-même, le