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naturelles comme Virgile, cherchant les lois du devoir comme Cicéron ou les lois de rinvention poétique comme Horace, et accomphssant cette œuvre dans des idiomes qu’ils ont immortalisés, avec un art dont la perfection est demeurée un modèle. C’est par ce côté, c’est par l’éclat de cette culture savante que l’antiquité a sa place dans la civilisation générale, qu’elle a fasciné les intelligences, et qu’elle est venue, à un moment donné, contribuer à la formation des littératures modernes. Et qui a le plus propagé l’étude et le goût de l’antiquité classique ? Ce sont les plus grands esprits de l’église, des papes, des cardinaux, les corporations religieuses les plus illustres, héritières naturelles de ces moines du moyen-âge qui d’une main défrichaient le sol de l’Europe et de l’autre copiaient et multipliaient les manuscrits. Toute la question aujourd’hui est de savoir si l’église s’est trompée dans la constante protection qu’elle a donnée aux lettres, si tant de savans hommes ont été les complices ou les dupes d’une mystification païenne qui dure encore. Oui, indubitablement, aux yeux de M. l’abbé Gaume, si l’adultère n’est pas chassé du monde, c’est à cause de Mars et de Vénus ; si les hommes d’argent achètent l’honneur des femmes, c’est parce qu’ils ont appris la fable de Jupiter se changeant en pluie d’or. Le paganisme est partout, dans la littérature principalement, on le conçoit. M. l’abbé Gaume pousse même assez loin la plaisanterie, et c’est bien le moins que nous signalions après lui à la vindicte publique, comme un des païens les plus notoires, — qui ? l’auteur des Mémoires d’un colonel de hussards, M. Scribe en personne ! Quant aux romantiques, M. l’abbé Gaume aurait bien tort d’être trop sévère à leur égard, car il a parmi eux d’incontestables prédécesseurs dans plus d’un de ses aperçus et de ses jugemens de fantaisie. En revanche, il y a parmi nous plus d’un esprit savant et bien inspiré qui avait découvert avant l’auteur du Ver rongeur les beautés de la littérature chrétienne, sans se croire obligé pour cela d’établir entre les anciens et les chrétiens, au point de vue littéraire, cet antagonisme oiseux dont le révérend père Pitra et M. l’évéque d’Orléans font aujourd’hui justice.

Un des caractères les plus singuliers, au reste, de cette controverse, c’est (fu’elle arrive parfois à de tels résultats, si complètement inattendus, qu’on ne sait plus trop en réalité ce qu’on y pourrait opposer, sans que cela tienne assurément à la puissance des argumens. On l’a dit depuis long-temps, il n’y a rien de plus difficile à prouver qu’une vérité élémentaire et de sens commun. Quand M. l’abbé Gaume, dans ses récentes Lettres, dit que « la clarté, la flexibilité, la grâce, l’ordre logique des idées étaient peu connus des auteurs païens, » que peut-il y avoir à répondre ? Quand l’auteur du Ver rongeur, en parlant de Fénelon, signale en lui l’absence de « la vie, de la chaleur douce et pénétrante, de la touche du cœur, » comment prouver que ce sont là justement quelques-unes des qualités les plus distinctives de l’illustre archevêque de Cambrai ? Et de quelle façon sérieuse vous y prendrez-vous pour détruire l’étrange construction de philosophie historique et littéraire que voici : une langue ou une littérature est l’expression de la société ; or la société chrétienne du moyen-àge est très supérieure à la société romaine, donc la langue latine du viiie ou du ixe siècle est plus parfaite que la langue de Cicéron et de Virgile. Nous prendrons la liberté de recommander à M. l’abbé Gaume le syllogisme correspondant. Les Grecs d’aujourd’hui, bien que dissidens, sont cependant encore plus