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Racine se plaît à louer le mérite dans la préface d’Esther, étaient d’ailleurs justifiés par la nature même du sujet que le poète avait choisi, tandis qu’on ne saurait en dire autant de ceux qui encombrent la nouvelle tragédie de M. Ponsard.

M. Gounod, qui en a fait la musique, est un jeune compositeur dont la réputation honorable ne remonte pas au-delà de quelques années. Lauréat de l’institut, M. Gounod a fait le voyage de Rome, dont le séjour semble avoir communiqué à son esprit un goût assez vif pour les idées religieuses et pour la belle musique qu’elles ont inspirée aux grands maîtres du XVIe siècle. De retour en France, M. Gounod a long-temps hésité entre la voie du siècle et celle du sacerdoce, qu’il faillit embrasser, si une femme d’esprit et une artiste d’un grand mérite, qui s’intéressait à son avenir, n’eût fait ouvrir brusquement les portes de l’Opéra à son premier ouvrage, Sapho, qui lui a valu les encouragemens du public et l’estime des connaisseurs. Il y avait dans Sapho, au milieu de beaucoup de tâtonnemens et d’effets prétentieux, une certaine élévation de style et quelques morceaux qui annonçaient un musicien nourri de bonnes études. M. Gounod a confirmé depuis l’opinion favorable qu’on avait conçue de son avenir par différentes compositions qui ont été exécutées aux concerts de la société Sainte-Cécile.

La partition que l’auteur de Sapho a écrite pour la tragédie de M. Ponsard s’ouvre par une courte introduction symphonique, qui n’a rien de bien saillant. Un premier chœur de naïades ne se fait pas autrement remarquer que par la simplicité de sa contexture, tandis que celui qui vient après, et qui est aussi chanté par les mêmes naïades, est mieux dessiné, et l’accompagnement, simple et de bon goût, où la harpe se marie à quelques légers battemens de triangle, est fort bien approprié au caractère idéal des personnages dont il exprime le ravissement. Tout cela d’ailleurs est fort court et ne fait que disposer le spectateur au développement de la fable dramatique. Au premier acte, où le chant surabonde et entrave l’action qu’on voudrait plus rapide, le premier chœur des porchers exprimant l’horreur qu’ils éprouvent pour l’avidité et l’insolence des prétendans de Pénélope est d’un accent plus bizarre que véritablement original. Fort difficile à bien chanter, parce que le motif n’en est pas très saisissable et que l’harmonie en est beaucoup trop recherchée pour un morceau d’ensemble qui vise à la simplicité antique, ce chœur, d’ailleurs trop long, ne produit pas l’effet que s’en était promis le compositeur. Celui qui vient après, et que chantent également les porchers d’Eumée en invoquant le dieu des vendanges, est plein de couleur et de franchise. Présenté par les ténors, le thème est bientôt attaqué par les basses, et la réunion des deux parties produit un ensemble d’une grande et belle sonorité. Ce chœur, qui a été redemandé, est le meilleur de l’ouvrage, et l’accompagnement, simple et original, se développe entre deux notes capitales, la tonique et la dominante, que lance alternativement le cor, et qui impriment à ce morceau un caractère vraiment héroïque. Le troisième chœur des porchers, qui termine le premier acte, nous a paru ressembler à une mélodie de plain-chant mise en faux-bourdon. Le second acte, au contraire, commence par un très joli chœur de femmes que chantent les servantes infidèles de Pénélope :

Voici l’heure ténébreuse.
L’heure du plaisir;