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vainqueurs et les déserteurs de son père, il aimait à les voir se démentir et s’abaisser sous la domination médiocre qu’ils subissaient sans envie, car c’est quelquefois une consolation que d’être dispensé de lever les yeux pour regarder le pouvoir.

De grandes affaires échurent cependant à cette administration sans grandeur. Elle eut au dehors une guerre sérieuse à soutenir, au dedans une sérieuse rébellion à réprimer. En 1745, la fortune des armes était favorable à la France : c’était l’année de la bataille de Fontenoy ; un bruit courait que le détroit serait franchi.


« C’est tout-à-fait la mode, écrit Walpole, que de parler de l’arrivée des Français. Nul n’y voit autre chose qu’un sujet de conversation, et non matière à précaution. Vous rappelez-vous qu’un bruit s’étant répandu que la peste était dans la Cité, tout le monde courut à la maison où elle était pour la voir ? Vous remarquerez que je ris aussi, car je ne voudrais pas, pour le monde entier, être assez désanglaisé pour faire autrement. Je suis persuadé que si le comte de Saxe était avec dix mille hommes à une journée de marche de Londres, le peuple louerait des fenêtres à Charing-Cross et à Cheapside pour le voir passer. C’est notre trait caractéristique que de prendre les dangers pour des spectacles et les malheurs pour des curiosités. »


Tout se réduisit à la descente en Écosse du fils du prétendant. Son entreprise, qui ne fut en définitive qu’une aventure romanesque, débuta assez brillamment pour donner l’alarme à Londres.


« C’est qu’en vérité, monsieur Montagu, ceci n’est pas plaisant. Je serais singulièrement ennuyé d’être un martyr de loyauté en habit râpé, grelottant dans une antichambre à Hanovre, ou réduit à enseigner le latin et l’anglais aux jeunes princes à Copenhague…. M’écrirez-vous quelquefois dans mon grenier de Herenhausen ?… Lord Granville et sa faction s’obstinent à persuader au roi que l’affaire n’est d’aucune conséquence, et, pour le duc de Newcastle, il est content quand les rebelles font des progrès, comme réfutation des assertions de Granville. »


Mais l’esprit public se réveilla, et le duc de Cumberland gagna la bataille de Culloden le 16 avril 1746. Depuis ce jour, il n’a plus été question des Stuarts. Un ministère indécis et divisé sauva l’état, quoiqu’il eût l’air de ne pouvoir se sauver lui-même. « M. Pelham est en détresse, dit Walpole, avec d’énormes majorités. » Lord Granville parvint en effet à le supplanter pendant deux jours et à former ce cabinet éphémère qu’on appela par ironie la longue administration. Walpole s’en constitua l’historiographe, et son récit de ce coup d’intrigue est une de ses plus amusantes lettres. Dans d’autres du même temps, il raconte avec une émouvante vérité le procès et le supplice des lords écossais pris les armes à la main. C’est un grand tableau d’histoire, que nous regrettons de ne pouvoir encadrer ici ; mais, si nous le suivions dans toutes les scènes de la politique qu’il a vues et retracées,