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d’exemplaires et encore recherchés des curieux. Il commença par deux odes inédites de son ami Thomas Gray (1757) ; il se fit même éditeur d’ouvrages anciens, d’un Lucain, par exemple, annoté par Bentley. Le plus souvent, il n’imprimait que des opuscules de société, les siens ou ceux de ses amis ; mais ce goût de typographie le conduisit à de plus sérieuses compositions. Pendant long-temps il n’avait fait que de petits vers, rarement jolis, souvent médiocres, ou des essais anonymes, insérés dans le journal the World, modeste successeur des recueils fondés par les Steele et les Addison. C’étaient en général des fictions satiriques sur les mœurs et les événemens du jour, et quelques-unes eurent du succès ; mais le piquant en est fort émoussé. Ce genre d’ouvrages ne satisfaisait pas d’ailleurs l’esprit de recherche, la curiosité savante, que l’amour des arts et des choses du passé avait fini par lui inspirer. Il y avait en lui du connaisseur et de l’antiquaire ; il aimait les monumens historiques, il quittait sans regret ses porcelaines de Saxe ou du Japon pour étudier une généalogie ou comparer des portraits de famille. Il eut d’abord l’idée de faire, avec une exactitude d’érudit, une édition des Mémoires de Grammont : ce livre plaisait infiniment à son genre d’esprit, qui goûtait l’exquis, ne craignait pas le hasardé, et pouvait descendre jusqu’à la mauvaise frivolité, quand il avait épuisé la bonne. Les Mémoires de Grammont, avec le rare mérite d’être écrits par un Anglais dans le meilleur français, ont encore ce trait singulier de représenter l’Angleterre à la française. Hamilton semble ne connaître que Versailles et juger la cour de Charles II en courtisan de Louis XIV : il parle de son propre pays comme un étranger, et l’on croirait, en le suivant, voyager en Angleterre avec Saint-Évremond ou Bussy-Rabutin ; mais l’ouvrage n’en est pas moins piquant pour avoir l’air d’un roman historique, où l’on ne sait ce qui domine de l’histoire ou du roman. Pour achever de donner à ces Mémoires une couleur de fiction, les premiers imprimeurs avaient étrangement défiguré les noms des lieux et des personnes, et, pour un Anglais, la société qu’on y dépeint était vraiment méconnaissable. Walpole entreprit de tout rectifier, de tout éclaircir, et nous lui devons le premier essai d’une édition classique du livre que Chamfort appelait ironiquement le bréviaire de la noblesse française. On peut croire que le personnage du comte Hamilton était fort du goût de son éditeur, et que, sans se l’avouer, il n’était pas éloigné de se modeler sur lui. Écrire avec légèreté, observer avec finesse, avoir du talent autant qu’un homme du monde en peut montrer sans changer de condition, telle fut l’ambition constante de Walpole, et on le voit s’attacher de préférence aux auteurs qui ont eu le mérite sans le métier, et qui sont arrivés à la renommée sans faire état de la poursuivre. De là son enthousiasme pour Mme de Sévigné. C’est lui qui, en écrivant,