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imagina de l’invoquer sous le nom de Notre-Dame-des-Rochers. En tous genres, il recherche dans les livres un je ne sais quoi d’aristocratique qui ne sente pas la profession littéraire. Peut-être est-ce pour cela que, de nos grands écrivains de son temps, il n’apprécia vraiment que Montesquieu. Certes, de hautes raisons justifieraient cette préférence : la sagacité profonde de l’habile observateur des affaires humaines ne pouvait lui échapper, le célèbre tableau qu’il a fait de l’Angleterre devait gagner son cœur de whig ; mais je suis persuadé que l’allure dégagée, le ton épigrammatique du grand publiciste, son excessif soin d’éviter la pédanterie, son élégance un peu cherchée, entraient aussi pour beaucoup dans l’admiration de Walpole, et ce n’est pas lui qui eût reproché à l’Esprit des Lois de rappeler les Lettres persanes. Il a, lui aussi, dans quelques-uns de ses essais, employé la fiction, pratiqué l’art des allusions, caché la satire politique sous un voile imaginaire. En tout, son goût pour la littérature française est capricieux. Quoique accusé souvent de gallicisme dans ses idées et dans son style, il ne trouve pas à son gré nos classiques du XVIIe siècle ; il juge nos poètes dédaigneusement, et pourtant sa sévérité vaut encore mieux que son indulgence. Combien il est difficile d’opiner sur une littérature étrangère, sans commettre de ces erreurs énormes qui donneraient des doutes sur l’universalité des règles du goût ! Où l’amour du joli ne peut-il pas égarer celui-là même qui est fait pour sentir le beau ! Passons à l’admirateur de Mme de Sévigné et d’Antoine Hamilton le cas qu’il fait de Marivaux, car enfin c’est un observateur d’une vue très fine, et Marianne est un charmant roman ; mais, en passant par Marivaux, Walpole arrive… devinez…, à Crébillon fils : il le trouve si admirable, qu’il donne soixante guinées pour avoir son portrait.

C’est une alliance souvent malheureuse que celle de l’esprit du monde et de la manie d’écrire, Walpole, qui n’eut pas trop à s’en plaindre pour son propre compte, céda sans doute au désir de se trouver d’illustres prédécesseurs, quand il conçut l’idée du livre qu’il intitula : Catalogue des auteurs royaux et nobles de l’Angleterre avec la liste de leurs ouvrages (1758). C’est un recueil de courts articles de biographie et de critique sur tous les rois, princes ou pairs qui ont écrit, à commencer par Richard Cœur-de-Lion, qui aurait, chose assez étrange, fait des vers dans la langue des troubadours, jusqu’à ceux des contemporains de l’auteur qui tournaient bien ou mal des pamphlets ou des chansons. La lecture d’un tel ouvrage ne peut être fort divertissante, quoiqu’il soit écrit avec une élégante brièveté. On ne sait trop quel but s’est proposé l’auteur, s’il n’a cédé à ses penchans d’archéologie aristocratique et au simple plaisir de chercher de grands noms dans de vieux livres, car sa critique ne se laisse séduire ni par le titre ni par le rang. Sa justice littéraire est égale pour tous, et donne