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révolutions plus grandes, moins innocentes peut-être. Cette future transformation du monde, il en apercevait les signes précurseurs dans ses voyages en France, dont le dernier est de 1775. Il voyait venir un état social nouveau dont il ne se rendait pas compte, mais qu’a priori il n’aimait pas. La paix de 1783 fut le terme d’une grande période de l’histoire politique de l’Angleterre. À partir de cette époque, on sent comme un vent qui précède l’orage : ce sont les approches de la révolution française, Walpole, qui la pressent plutôt qu’il ne la prévoit, éprouve à l’aspect des affaires humaines, et même de celles de son pays, une sorte de malaise et d’inquiétude ; il blâme, il gronde, il s’attriste, il se décourage, il trouve que tout est changé, et, bien entendu, dégénéré. C’est l’âge des avortemens, dit-il quelquefois, car on le disait aussi de ce temps-là. Dans ses momens d’impartialité, il s’en prend à la vieillesse. Ses lettres sont remplies de réflexions chagrines, sans amertume toutefois, sur les changemens qui s’accomplissent autour de lui. Il n’est pas toujours bien assuré que ce soit le monde, et non pas lui, qui ait tort. Il a vu trop de choses ; il ne peut croire qu’il ait tant vécu. Il devient, par l’effet du temps, comme étranger dans son propre pays. Ce pays est-il en déclin ? le peuple anglais ne serait-il que les restes d’un grand peuple ? Et il répète souvent cette triste réflexion : « Le monde est une comédie pour l’homme qui pense, une tragédie pour l’homme qui sent. »

Ses découragemens cependant ne l’avaient pas empêché de se prendre d’un goût vif pour un jeune homme qui commençait, avec de tout autres espérances, une brillante carrière, et qui voyait sous un tout autre jour le monde et l’avenir. Le fils de lord Holland, Charles Fox, était entré à vingt ans au parlement (1768), avec un esprit plein de feu, avec un cœur franc et passionné, aimant à la fois et indistinctement tout ce qu’il est honorable, tout ce qu’il est naturel et tout ce qu’il est dangereux d’aimer, les affaires et les plaisirs, le monde, les lettres, la politique, la liberté, la gloire. Il menait une vie d’amusement, même de désordre, et discutait dans le parlement avec une solidité de dialectique qui rappelait son père, avec une chaleur presque aussi vive et plus naturelle que celle de lord Chatham. Walpole fut, à son début, frappé de ses grandes qualités ; il les déclarait surprenantes, il louait sa sincérité, il admirait son bon sens. Il le plaignait des fautes de sa jeunesse, mais il y trouvait une singularité de plus qui faisait encore ressortir ses talens. Il comparait ses dettes à celles de César, auxquelles le cardinal de Retz comparait les siennes.

« 1770. Le jeu d’Almack’s, qui a pris le pas sur celui de White’s, équivaut au déclin de notre empire ou de notre république, comme vous voudrez… Charles Fox brille également là et à la chambre des communes. Il a eu vingt et un ans il y a eu hier huit jours, et il est déjà un de nos meilleurs orateurs.