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Hier, il a été fait un des lords de l’amirauté. Nous ne sommes pas un grand siècle, mais sûrement nous tendons à quelque grande révolution. — 1772. Je suis allé l’autre jour à la chambre pour entendre Fox, contrairement à la résolution que j’avais prise de n’y jamais remettre le pied. Il est étrange combien la perte de l’habitude vous rend embarrassé : le cœur me battait comme si j’allais parler moi-même. Mon attente fut remplie. Le talent de Fox est étonnant à un âge si peu avancé et surtout sous l’influence d’une vie si désordonnée. Il arrivait de Newmarket, était resté à boire toute la nuit, et ne s’était pas couché. Comme de tels talens rendent risibles les règles de Cicéron pour faire un orateur ! Ses harangues si travaillées sont puériles auprès de la virile raison de cet enfant. — 1783. Son éloquence supérieure n’est pas sa première qualité. Toute sa conduite est mâle et empreinte d’un sens ferme, d’un sens commun de premier ordre, la plus utile de toutes les qualités. Bref il a ce qu’il faut, et avec cela fermeté, franchise, la plus parfaite bonne humeur…, une manière libérale d’agir qui est de mon goût ; c’est la simplicité de mon père… Je le crois la meilleure tête de l’Angleterre. »

En même temps, et comme en regard de Fox, s’élevait un autre orateur, plus jeune, rival déjà, pas encore adversaire. Impérieux comme son père, éloquent autant que lui peut-être, mais autrement que lui, capable, laborieux, sec et cassant comme son oncle, le second Pitt tenait à la fois de Chatham et de Grenville, et il devait, illustrant un nom déjà glorieux, offrir aux hommes d’état un nouveau sujet d’études : des fautes à éviter, des exemples à suivre, un modèle imposant et dangereux. Sa place est grande dans l’histoire de l’art de gouverner. Son mérite cependant n’était pas du goût de Walpole, et il a de la peine à lui rendre pleine justice. Par une de ces inconséquences qui se rencontrent souvent dans nos préférences, il appuie de ses sympathies le ministère hasardeux de Fox ; il fait comme Burke, destiné à devenir plus tard l’apôtre du torisme ; il approuve le jeune ministre dans ces plans d’organisation de l’Inde qui l’on fait accuser d’abandon de la prérogative royale, et ne voit pas sans une froideur assez malveillante Pitt, jusque-là au moins aussi réformiste que Fox, commencer à vingt-quatre ans cette administration célèbre qui devait, avec de courtes interruptions, se prolonger jusqu’à sa mort.

« 1781. Le jeune Pitt a encore hier déployé l’art oratoire paternel. L’autre jour, il a répondu à lord North, et l’a mis en pièces. Si Charles Fox était sensible à ces choses-là, on croirait qu’un tel rival, avec une réputation sans tache, devrait l’exciter. Eh quoi donc ! si un Pitt et un Fox allaient encore être rivaux ? — 1782. Il va être secrétaire d’état, et à vingt-deux ans ! Il y a là quelque gloire… Comme compétiteur de M. Fox, il n’est nullement un rival à son niveau. Juste comme leurs pères, M. Pitt a l’éclat du langage, M. Fox la solidité du sens et de si lumineuses facultés pour la montrer dans tout son jour, que la pure éloquence n’est qu’une pierre de Bristol auprès de ce diamant de raison… Quoique M. Pitt soit meilleur logicien que son père, il n’a ni la même fermeté ni la même persévérance.