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l’exactitude parfaite a été contestée pour quelques détails, mais qui ont au plus haut degré le genre de mérite littéraire permis à ces sortes d’ouvrages. On y reconnaît un digne éditeur des Mémoires de Grammont.

En 1822, il parut deux volumes in-4o sous ce titre : Mémoires des dix dernières années du règne de George II. Walpole y attachait un grand prix ; il les écrivait même avec un peu de mystère, il craignait presque qu’on ne vînt les saisir chez lui et lui en faire un crime d’état, d’après la maxime de Jeffries : Scribere est agere, et une fois il les enterra par précaution au pied d’un chêne de son jardin. Il les a laissés bien scellés dans une cassette que son petit-neveu, lord Waldegrave, ne devait ouvrir qu’à l’âge de vingt-cinq ans. Ce dépôt passa des mains de ce dernier dans celles de feu lord Holland, qui l’a livré au public. Après lord Holland, la seconde série des mémoires, conservée avec les mêmes soins et comprenant les vingt et une premières années du règne de George III, a été remise au duc de Grafton et publiée en 1845 par les soins de sir Denis Le Marchant.

Ces mémoires sont un livre piquant et un monument historique. L’auteur a écrit avec indépendance et, nous le croyons, avec sincérité. Il voit juste et il dit vrai toutes les fois que ses préventions personnelles ne le trompent pas. « Il a, dit-il, vécu en méprisant l’hypocrisie, et il écrit comme il a vécu. » Ailleurs encore il s’écrie : « Arrière, flatterie ! Dis la vérité, ma plume ! » Cependant toute la bonne volonté du monde ne supprime point la passion, et l’on ne peut citer Walpole comme un témoin impartial, mais comme un intelligent, un clairvoyant témoin et un écrivain vif et élégant. Ses jugemens et ses récits jettent une grande lumière sur des parties assez obscures de l’histoire politique de son pays, et il retrace d’une manière animée des scènes parlementaires que, faute de comptes-rendus officiels, on connaîtrait mal sans lui. Il aime les portraits, et ceux qu’il trace des deux rois, de son père, de Bolingbroke, de Pulteney, de Grenville, de Pelham, de Newcastle et de lord Chatham sont dignes des meilleurs peintres. Il s’occupe même quelquefois de la France, et donne sur l’histoire secrète de son gouvernement des détails assez étendus qu’il recueillait dans le salon de Mme Du Deffand et dans l’intimité de Mme de Choiseul ; mais le plus grand prix de ces mémoires, le voici pour nous comme pour lui : « Les débats d’une nation libre parvenue au faîte de sa gloire peuvent, dit-il, être dignes de l’attention des temps futurs. Nos descendans verront ce qu’étaient leurs ancêtres dans les armes et dans l’éloquence, de quelle liberté ils jouissaient dans la discussion de leurs intérêts. Fasse le ciel qu’ils ne lisent pas ces récits avec un soupir, les lisant dans l’ignorance et dans l’esclavage ! »


CHARLES DE REMUSAT.