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L’œil fixe et farouche de l’orpheline se mouilla de pleurs, quand la mère désolée pressa l’orpheline dans ses bras. Il y eut entre ces deux âmes veuves une rapide intelligence de douleur, une communication intime et profonde qui fondit la dureté barbare, et le christianisme descendit sur Hilda dans un baptême de larmes.

La foi, dès qu’elle fut entrée dans cette ame forte, fut inébranlable et ardente. Hilda crut comme elle avait résisté, avec toute l’énergie d’une puissante nature, pareille à ces bois qui s’embrasent difficilement, et, une fois embrasés, brûlent d’un feu qu’on ne peut éteindre. À peine convaincue, elle éprouva le besoin de répandre sa conviction autour d’elle, et bientôt il y eut dans l’habitation de Secundinus une missionnaire clandestine qui transmit, surtout à ses compagnes de captivité, les enseignemens qu’elle recevait de Priscilla, prêchant en secret au milieu d’elles avec toute l’ardeur que la nouveauté de la conviction ajoute à la certitude de la foi. Priscilla bénissait le ciel de l’heureux résultat de ses soins, et Maxime voyait avec joie le christianisme se glisser ainsi cette fois comme toujours, par le secours des femmes, dans une si nombreuse famille d’esclaves. Sans intervenir publiquement, il veillait en secret sur ce troupeau caché par l’intermédiaire de Priscilla, qui employait mille ruses nées d’un zèle ingénieux pour continuer de mystérieuses relations avec sa néophyte chérie.

Toutes ces précautions étaient nécessaires. Dans son aversion pour la religion chrétienne, Macer s’opposait avec opiniâtreté à ce qu’on l’introduisît au milieu de ses esclaves : il leur défendait d’aller à l’église entendre la sainte parole. Lui-même avait une chapelle devant la porte de sa maison, car il convenait à un personnage revêtu de plusieurs emplois municipaux, et peu porté à se mettre en opposition avec le pouvoir, de rendre un hommage extérieur à la religion officielle de l’état ; mais il n’y entrait qu’à Pâques et dans quelques autres solennités, y faisant alors célébrer le service divin avec une extrême magnificence. Le reste de l’année, la chapelle était fermée ; jamais les esclaves n’y mettaient le pied. Macer, fidèle par orgueil à l’esprit des religions antiques, n’aurait pas voulu les admettre à la communauté des choses sacrées ; il ne pouvait consentir qu’ils eussent le même Dieu que lui. En outre, il craignait que certaines idées que les chrétiens répandaient, entrant dans la tête des esclaves, n’y produisissent une fermentation dangereuse pour l’autorité de leur maître. Cette égalité devant Dieu proclamée par l’Évangile effrayait et irritait le vieux patricien mécontent. Le Dieu mort du supplice des esclaves ne pouvait sans péril être annoncé aux esclaves. Les prédicateurs chrétiens ne leur disaient point, il est vrai, de se soulever ; mais l’esprit de l’Évangile se trahissait sans cesse dans le langage des hommes les plus vénérés par l’église. Macer frémissait de colère en voyant la manumission