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chapeau de paille tressée ou d’un chapeau européen, dans la campagne d’un salacot aux larges bords, — le Tagal a réservé pour la chemise qu’il laisse flotter en dehors d’un pantalon de coton rayé tout son luxe et toute sa magnificence. De délicates broderies et une agrafe dorée rehaussent la richesse du tissu de pina qui remplace la chemise de sinamaïe ou de nipis dans les jours de fête ; mais, quelque élevé que puisse être le prix d’un pareil costume, il est permis d’en contester l’élégance.

Le costume des femmes de Manille est en revanche plein de grâce et de séduction. Par-dessus la saya, étroit jupon de coton rayé, s’enroule le tapis qu’un pli négligent fixe autour de la taille. Ce second vêtement ne sert qu’à mieux dessiner la parfaite symétrie des formes dont il presse indiscrètement les contours. Une chemisette de toile blanche descend au-dessous du sein et laisse exposés à la vue des reins cambrés et une brune ceinture. Des chinellas[1] qui recouvrent à peine la pointe du pied, un peigne d’écaille ou de corne retenant sur le derrière de la tête une magnifique chevelure, des boucles d’oreilles d’or ou de corail, tel est, avec un rosaire et deux ou trois scapulaires, le complément d’un costume plus lascif et plus provoquant que la nudité des sauvages. Il faut, pour être juste, se hâter d’ajouter que les jeunes Tagales portent ces vêtemens avec une rare modestie. L’innocence de leur regard et la réserve de leurs manières offrent un singulier contraste avec la désinvolture de leur ajustement. Aussi, quelle que puisse être au fond l’irrégularité des mœurs indiennes, si vous vouliez juger les jeunes filles de Luçon à la grave simplicité de leur démarche, elles ne vous apparaîtraient que couvertes de ce voile de chasteté qui protégeait la nudité de nos premiers parens dans le paradis terrestre. Lorsqu’elles viennent, comme les brahmines aux bords du Gange, faire leurs ablutions journalières sur les bords du Passig, c’est encore le tapis qui abrite leur pudeur. Sur leurs épaules retombent en flots noirs les longues tresses qu’elles ont eu soin de dénouer. Habitué à ce spectacle, le Tagal les voit sans émotion se plonger au sein de l’onde, s’arrêter sur la rive pour l’ordre leurs cheveux ou gravir lentement les degrés des débarcadères.

Quand on a vécu pendant quelque temps au milieu des nègres de l’Afrique ou des Malais de l’Archipel indien, on est forcé de reconnaître que des lignes de démarcation bien tranchées séparent les diverses races dont se compose l’espèce humaine. Il est peu d’Européens qui, pour la vivacité de l’esprit, pour l’élévation des pensées, pour la noblesse des sentimens, ne l’emportent de beaucoup sur les Tagals les plus cultivés de Manille. Pour juger avec équité cette race inférieure à la nôtre, il faut la considérer comme abandonnée presque

  1. Sandales de paille, de cuir ou de velours.