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surtout, enlacent adroitement le Tagal, que la vivacité espagnole eût effarouché. Aussi les métis et les Chinois font-ils presque tous fortune à Manille, tandis que la plupart des Européens ont fini par s’y ruiner.

Cette classe moyenne mérite tout l’intérêt, mais aussi toute la surveillance du gouvernement espagnol. L’humeur changeante du Tagal peut lui suggérer le désir de secouer le joug tutélaire qu’il subit; ces tendances capricieuses sont sans gravité, s’il ne se rencontre une pensée plus ferme pour les concentrer et les conduire au but. Il est certain que les élémens d’une émancipation sérieuse n’existent point encore aux Philippines. Les insurrections qu’ont fait éclater à diverses reprises dans la capitale de Luçon la turbulence de la population chinoise, ou les mécontentemens d’une garnison soulevée par des ambitions subalternes, n’ont jamais eu le concours de la population indigène. Cependant, quand on songe que les métis ont pour eux la richesse, qu’ils occupent une place importante dans les rangs de l’armée et dans ceux du clergé, qu’ils ont à subir des prétentions qui les froissent, une concurrence qui les humilie, quand on se rappelle quel penchant invincible porte toutes les colonies à se séparer tôt ou tard de leur métropole, on ne peut trouver étrange que l’Espagne observe avec un peu d’inquiétude l’importance croissante de cette race industrieuse, et s’applique à l’empêcher d’acquérir une dangereuse influence sur l’esprit de la population. Lorsqu’on a perdu le Pérou, le Chili et le Mexique, trois empires conquis par un courage héroïque et une admirable persévérance, on a bien quelque droit de se montrer soupçonneux. Tant que le gouvernement espagnol ne poussera point ses ombrages jusqu’à l’injustice, ce n’est pas nous qui le blâmerons de se tenir en garde contre des passions auxquelles le moindre espoir de succès pourrait communiquer une déplorable énergie.

On peut, sans sortir de Manille, recueillir des notions suffisamment exactes sur la population indigène des Philippines : le type de cette race apathique s’est peu altéré au contact des races étrangères; mais il faut parcourir les campagnes de Luçon pour apprécier les ressources matérielles de la colonie, et c’est en visitant les villages de l’intérieur qu’on étudiera dans tous ses détails le mécanisme d’un gouvernement qui soumet à une poignée d’Européens une population de près de trois millions d’ames. Avant de suivre les indigènes de Luçon sur ce nouveau terrain, il faut cependant embrasser l’ensemble des institutions auxquelles jusqu’à ce jour la domination espagnole a dû sa sécurité.

L’Espagne n’emploie qu’un très petit nombre d’agens européens aux Philippines : elle doit par conséquent leur conférer d’immenses attributions. Le capitaine-général, chef suprême de l’armée, est aussi le chef de toutes les administrations civiles. La direction seule des finances a été soustraite à son autorité depuis l’année 1784. L’audience royale,