Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/264

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leurs plaintes et de leurs réclamations. On a reproché aux curés des Philippines d’avoir traité les Indiens comme des enfans, — il eût fallu ajouter comme des enfans gâtés. On a dû cependant à l’initiative de ces religieux quelques progrès dans les cultures et dans l’industrie coloniales; mais ces progrès ont toujours eu pour but la prospérité intérieure de l’archipel. Jamais le clergé des Philippines n’a songé à grossir les revenus de la métropole ou à augmenter le chiffre des produits destinés à l’exportation. Ce fut pour que l’Indien n’eût point à redouter les funestes suites des années de sécheresse que les religieux espagnols introduisirent dans l’île de Luçon la culture du blé et du maïs; ce fut pour l’empêcher de rester tributaire de l’industrie chinoise qu’ils lui apprirent à tresser la paille, à tisser les étoffes de coton et de piña; ce fut aussi au profit de ses besoins, de sa commodité personnelle, que le Tagal, sous la direction du curé, détourna le cours des ruisseaux, jeta des ponts sur les torrens et traça des sentiers sur les flancs de la montagne.

Il existe deux clergés distincts aux Philippines : le clergé régulier et le clergé séculier. De fâcheuses dissensions entre les ordres religieux et l’archevêque de Manille engagèrent la cour de Madrid à donner aux Tagals un certain nombre de pasteurs indigènes. On attendait plus de docilité et de souplesse de la part de ce clergé séculier, que l’archevêque pouvait peupler de ses créatures. On ne s’arrêta dans cette voie périlleuse que lorsque les capitaines-généraux en eurent à l’envi signalé le danger. Sur 528 cures, on en compte aujourd’hui 191 qui sont desservies par des prêtres indiens ou des métis. Le clergé espagnol se recrute dans les rangs des augustins chaussés et déchaussés, des franciscains et des dominicains. Ces ordres religieux, si puissans autrefois en Espagne, ont vu leur splendeur s’abîmer dans les troubles des guerres civiles. Il ne leur est resté d’autre asile que les Philippines, où l’affection des populations continue de protéger leur existence et leur assure encore une immense influence.

Les alcades supportent impatiemment cette action occulte qui balance leur pouvoir. Avec sa propre estime, l’autorité civile devait recouvrer dans les Philippines le sentiment de son importance; mais, quelque légitimes que puissent être les tendances de cette administration épurée, elle ne peut oublier qu’on ne compromettrait point impunément, dans ces contrées lointaines, le prestige de l’autorité ecclésiastique. Ce qu’il faut à l’Espagne, ce n’est point un clergé affaibli, c’est un clergé dévoué à ses intérêts. Le curé doit être, comme par le passé, le médiateur du faible, le surveillant de tous ces officiers municipaux dont la tyrannie s’exercerait sans pudeur, si elle n’avait plus à redouter le regard du pasteur de la paroisse. On peut demander au clergé, en échange des égards qu’on lui accorde et des droits qu’on lui