Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/280

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chemin, jeter un pont sur le torrent, réparer une route qui s’effondre? il vous faut avoir recours aux corvées : l’appât du plus riche salaire ne vous donnerait pas un travailleur. On ne réforme pas en un jour et des habitudes séculaires et la nature même de tout un peuple. Le gouvernement espagnol ne cédera point à des impatiences qui pourraient compromettre le repos de la colonie, le code des Indes ne cessera pas d’être la base de sa politique; mais, dès aujourd’hui, toutes les influences dont il dispose devraient tendre peut-être, avec plus d’ensemble et plus d’énergie, à développer chez Je paysan tagal le besoin et le goût du travail. C’est surtout au clergé que ce vœu s’adresse, car ce n’est qu’à la voix du clergé que l’Indien se montrera docile : les conseils de l’alcade ont besoin de recevoir de la bouche du curé leur consécration.

Si nous n’avions visité que la province de la Laguna, nous n’eussions pu apprécier par nous-mêmes toute l’étendue de la puissance que possède encore le clergé aux Philippines, car nous n’avions pénétré cette fois que dans l’humble presbytère du pauvre franciscain de los Baños. Un nouveau voyage nous conduisit dans les provinces de Batangas et de Bulacan : après avoir vu dans ces riches provinces des villages de quarante mille hommes dont un moine était encore, comme aux premiers jours de la conquête, le véritable souverain, il ne nous fut plus permis de mettre en doute la haute position et la prépondérance morale des ordres religieux dans les Philippines.

Quand nous entreprîmes cette seconde expédition, nous avions eu le temps d’acquérir de nombreuses et puissantes protections à Manille. M. Forth-Rouen, devenu encore une fois l’hôte de la Bayonnaise, nous couvrait d’ailleurs du prestige qui devait s’attacher, dans une colonie espagnole, au nom du représentant de la France. Aussi les lettres de recommandation et les attentions aimables ne nous manquèrent pas. Nous ne partîmes point de Santa-Anna, comme au mois de mars 1848, dans de simples pirogues : nous eûmes, pour traverser le lac de Bay, une belle chaloupe de la douane, une falua, montée par vingt rameurs, et couverte d’un riche tendelet dont les rideaux de soie bleue flottaient du vent. Le lendemain matin, nous étions à l’entrée de la rivière de Calamba, et des pirogues venues à notre aide nous débarquaient sur la plage. Un bon curé indien, dont nous troublâmes la sieste, nous reçut de son mieux dans son presbytère; le gobernadorcillo obtint par voie de réquisition un certain nombre de poneys, et nous fîmes route pour Santo-Tomas. Notre visite avait été annoncée aux habitans de ce village par une estafette expédiée de Calamba. A la porte du couvent nous attendait le curé; une douzaine d’Indiens armés d’ophicléides et de trombones saluèrent notre arrivée par une joyeuse fanfare. Dès que nous eûmes mis pied à terre, le padre don José Garcia nous