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profiter ; il conçut l’espoir secret de parvenir à dompter le Barbare en flattant ses prétentions, de dominer ainsi son esprit grossier et vain tout ensemble, et, caché derrière lui, de jouer un rôle, ce rôle que depuis jouèrent en grand plusieurs Romains auprès de différens chefs, Léonce sous Eurik, et sous Théodorik Boëce et Cassiodore.

Une fois cette nouvelle perspective offerte à son incurable ambition, Macer marcha de ce côté avec toute l’ardeur de son ame et toute la souplesse de son caractère. En peu de temps, d’habiles flatteries et un art prudent de se faire valoir auprès du maître, sans offenser son orgueil, eurent donné au Romain un certain ascendant sur Viriomar. Son plan était d’amener ce chef à prendre de l’empire sur les tribus voisines, en introduisant parmi elles le plus possible la discipline et l’organisation romaines. Par ce moyen, Viriomar jetterait les fondemens d’une puissance qui pourrait devenir redoutable, et il serait en mesure de fonder un établissement considérable sur la frontière. Macer ne reculait point devant la pensée de conquêtes faites aux dépens de l’empire, au contraire il rêvait déjà un royaume franc qui comprendrait une portion de la Gaule, et qu’il gouvernerait par l’entremise du chef, dont il serait le ministre. Ce plan n’était point entièrement insensé : moins d’un siècle plus tard, Clovis devait le réaliser et au-delà ; seulement l’heure n’avait pas sonné, et l’homme n’était pas venu. Tout ce qui arrive en ce monde a été anticipé par la pensée : il n’est pas d’événement que des hommes inconnus n’aient pressenti, et que des tentatives obscures n’aient devancé.

En voulant suivre les avis de son nouveau conseiller, Viriomar ne tarda pas à mécontenter ceux qui l’entouraient. Il tenta d’établir dans la cour sauvage que formaient autour du chef germain ses compagnons, qui furent plus tard ses leudes et ses fidèles, une imitation grossière de l’étiquette impériale. Un tronc d’arbre, recouvert de lambeaux d’étoffe volés dans le pillage de Trêves, servait de trône à cette majesté barbare. A certaines heures seulement, elle permettait de soulever les peaux de bêtes qui, en guise de rideaux de pourpre, fermaient sa tente ; elle choisissait ceux qu’elle admettait à ses festins ou à ses jeux. Enfin Viriomar commençait à parler d’un tribut fixe au lieu des dons volontaires qu’il recevait des guerriers, afin de pouvoir, disait-il, entreprendre une expédition dont les résultats fussent plus importans et plus durables que ceux de toutes les incursions passagères tentées jusqu’alors. Quelques-unes de ces âmes propres à la servitude, comme elle en trouve partout où elle se montre, se prêtèrent aux projets de Viriomar et de Macer ; mais le plus grand nombre leur résista opiniâtrement : ceux-ci conçurent une aversion profonde pour le Romain, qu’ils regardaient comme l’instigateur de mesures détestées. N’étant pas certains de l’emporter sur lui, ils résolurent d’attendre le retour