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s’être sentie attirée vers un infidèle presque avant de le connaître, et depuis n’avoir pas eu d’autre désir, d’autre occupation, d’autre but de ses prières et de ses larmes, que de le gagner à Dieu et de le dérober à l’enfer ; elle peut l’avoir suivi dans l’esclavage et jusqu’au fond des solitudes, pour le rendre à la liberté des enfans de Dieu, pour le ramener dans la cité céleste ; elle peut en être venue à ce degré de faiblesse d’écouter trop long-temps des discours qu’elle n’aurait pas dû entendre, de ne pouvoir s’arracher d’auprès de lui, de craindre qu’il ne veuille mourir, de lui dire pour l’en détourner ce qu’elle ne devrait pas lui dire : que, s’il mourait dans son infidélité, elle craindrait pour elle-même le désespoir et le blasphème. Oh ! oui, elle peut faire tout cela, la pauvre chrétienne indigne : est-ce donc ne pas aimer ?

Lucius vaincu se prosterna devant Hilda comme un croyant se prosterne devant une sainte, et lui dit : — Pardonne à un misérable, pardonne ! Jamais une de mes paroles n’offensera tes oreilles. Je m’efforcerai de triompher de mon cœur et de t’aimer comme un chrétien.

— Et tu vivras ?

— Je vivrai, puisque tu le commandes… à moins, ajouta-t-il, qu’un outrage… Dans ce cas, je ne te promets rien, et en revenant demain tu ne trouverais qu’un cadavre.

Hilda frissonna. — Lucius, lui dit-elle, j’ai un dessein : je veux te réunir à ton père et à ton oncle ; je veux te garantir, ainsi qu’eux-mêmes, de tout mauvais traitement et de toute insulte, et Dieu bénira ce dessein, afin qu’après que j’aurai fait tout cela pour toi, tu fasses pour moi quelque chose et te convertisses à lui.

— Ah ! mon cœur est dans ta main, tu peux le tourner où il te plaît, dit Lucius ; mais par quel moyen crois-tu agir sur les hommes farouches au pouvoir desquels nous sommes tombés ?

— Ne connais-tu pas l’empire des femmes sur mon peuple ? Et puis, dans cette forêt, je suis la fille d’un chef illustre, le sang de Marcomir. Dieu m’est témoin que je ne m’enorgueillis point de cette naissance qui devait me fermer les portes de la vie éternelle. Si ce n’est pour servir mes anciens maîtres, je ne veux être que la pauvre Hilda, l’humble esclave des Secundinus, en tout ce qu’ils me commanderont de permis.

— Esclave chez mon père, ici fille d’un chef illustre ! dit Lucius avec douleur. Nous sommes toujours séparés !

— Eh bien ! Lucius, dit Hilda en s’éloignant, crois à ce que je crois, et je ne serai plus pour toi l’esclave ni la Barbare, je serai avec toi en Jésus-Christ.

En quittant Lucius, Hilda se hâta d’aller chercher Gundiok. Il aiguisait en ce moment sa framée. Autour de lui, quelques guerriers étaient assis sous un chêne, et un vieux chanteur aveugle hurlait un chant sauvage. Le cœur plein d’un double désir, celui d’obtenir du