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double espoir de sauver Lucius et d’amener les hommes de sa tribu à partager sa foi. Pour ce jour, elle n’avait rien à leur dire de plus ; il fallait laisser l’impression qu’elle avait fait naître produire ses fruits avec l’aide de la grâce, avant qu’une autre circonstance lui fournît l’occasion de faire un pas de plus vers une conversion complète ; puis, elle était pressée d’aller chercher Macer, pour le soustraire aux persécutions de Bléda et le ramener dans les bras de son fils. Elle se hâta donc de quitter les Francs émerveillés et comme frappés de stupeur, écoutant encore les paroles pour eux étranges, les chants et la harpe de la chrétienne, long-temps après qu’elle avait disparu à travers les chênes de la forêt.


VII.


Hilda avait fait quelques pas à peine quand elle rencontra Capito, qu’une troupe de Francs suivaient avec des rires bruyans et de brutales clameurs. Les mauvais traitemens avaient achevé de déranger la faible raison du malheureux rhéteur, déjà troublée par un déplacement subit et un changement complet de toutes ses habitudes. Les Francs auxquels il était livré s’étaient aperçus qu’il avait l’intention de chanter dans leur langue, et, se faisant un cruel divertissement de sa folie, ils avaient placé entre ses mains la harpe d’un de leurs poètes, et lui avaient ordonné de s’en servir et de chanter pendant leurs repas. Le pauvre insensé, chez lequel la vanité littéraire survivait à la raison, s’était efforcé avec joie d’obéir à ses maîtres. Ceux-ci l’avaient enivré avec la liqueur fermentée qui leur tenait lieu de vin, et, dans cet état, après l’avoir accablé d’hommages dérisoires et de grossiers outrages déguisés sous les formes du respect, ivres eux-mêmes, ils le promenaient en triomphe comme un chantre inspiré ; Capito marchait au milieu d’eux sa harpe à la main et affublé d’un vêtement bizarre. Une couronne de chêne était sur sa tête. Égaré par l’ivresse et par la folie, abusé par un reste de stupide orgueil, il se croyait entouré d’admirateurs ; au milieu des moqueries, des insultes, il conservait sur ses lèvres l’imperturbable sérénité d’un niais et béat sourire.

Hilda ressentit une tristesse profonde en voyant où la manie de ce qu’il appelait le culte des muses avait conduit leur misérable adorateur. Elle adressa en sa faveur quelques paroles aux Francs, qui, malgré leur emportement, s’arrêtèrent au nom de Gundiok, et laissèrent le rhéteur seul avec Hilda. Elle voulut alors le décider à la suivre ; mais, la regardant avec colère, il lui reprocha d’avoir éloigné de lui ses disciples. Mêlant dans son délire à ce dépit du moment le souvenir de son ancienne irritation contre les livres chrétiens, dont Hilda avait préféré la lecture à celle de ses propres œuvres, il s’écria : — Que les