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Macer fut frappé d’un étonnement qui ressemblait à l’admiration. — Et que fait à la jeune Franque, dit-il, le sort de ceux qu’elle a dû maudire dans sa servitude ? D’ailleurs cette liberté indigente et méprisée, sous la protection d’une esclave, à quoi serait-elle bonne ?

— La jeune Franque n’a jamais maudit ceux à qui Dieu l’avait donnée ; chaque jour, elle a prié pour eux le Seigneur. En ce moment, elle le prie encore de décider l’illustre Macer à ne pas refuser cette chance de salut qui s’offre à lui. Qui sait si elle ne pourra pas un jour, avec l’aide céleste, tirer lui et les siens de cette solitude et les ramener dans sa patrie ?

— Y a-t-il encore pour moi telle chose qu’une patrie ? dit Macer d’un ton de plus en plus sombre. La Gaule est ouverte aux Barbares, l’empire s’écroule, la puissance romaine s’en va ! Et quand je retournerais sur les bords de la Moselle, qu’y trouverais-je ? Mes possessions ravagées, mes habitations dévorées par l’incendie, mes esclaves dispersés. Moi, un Secundinus, rentrer en Gaule pour y mener la vie d’un mendiant ! Non, par Hercule ! Esclave, laisse-moi, j’ai résolu de mourir ici.

Désolée d’entendre ces paroles, car elle songeait à la douleur de Lucius, si elle retournait vers lui sans son père, et tremblant qu’en revenant tous deux vers Macer ils ne le trouvassent plus vivant, Hilda se mit à genoux devant son ancien maître, et lui dit avec une émotion pénétrante : — Mourir ! le seigneur Macer n’est-il pas chrétien ?

— Non, je ne suis pas chrétien, répondit le vieux Romain avec colère ; non, je ne l’ai jamais été. Je n’ai jamais cru à ces superstitions nouvelles, à ces rêveries des Juifs qui ont abaissé les âmes et qui ont affaibli l’empire. Une seule joie dans la condition misérable à laquelle je suis réduit, la seule chose qui me console d’être ici perdu dans les forêts de la Germanie, c’est de pouvoir enfin me dépouiller d’un faux respect que la prudence me commandait, et de pouvoir dire tout haut à la face du ciel : Je ne suis pas chrétien ! Opprobre sur les chrétiens et sur le Christ !

— Et qu’es-tu donc ? dit Hilda, qui, en entendant ce blasphème, ne put consentir à laisser outrager même par son ancien maître ce qu’elle adorait. Le sage Macer peut-il croire aux fables païennes ?

— Je ne crois point aux fables païennes, je ne crois point aux mensonges dont le patriciat de Rome amusait la plèbe ignorante, je ne crois point aux amours de Mars et de Vénus, je méprise les terreurs de l’Achéron, je n’imagine point que les âmes des morts aillent errer sur les bords fabuleux du Styx ou du Léthé ; mais je regrette ces croyances utiles que la sagesse de nos pères avait forgées pour le peuple, je m’indigne qu’on les ait remplacées par une religion insensée qui permet aux mendians et aux esclaves de se croire en possession des choses divines, qui enhardit une fille franque née pour servir à discourir sur ces choses devant son maître, comme si elle était une