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retirer. Mon intention est de mourir de faim en ce lieu, comme fit le sage. Diagoras ; si tu m’importunes encore par tes discours, je me briserai devant toi la tête contre ce rocher.

Hilda consternée se retira en silence ; mais elle ne pouvait s’éloigner brusquement de Macer. Elle s’agenouilla à peu de distance, derrière de grands arbres qui la cachaient, et pria pour lui avec une vivacité que redoublait son amour pour Lucius. Macer était toujours à la même place et dans la même attitude, assis sur un rocher et immobile comme lui, présentant l’image de l’orgueil romain pétrifié. Tout à coup un bruit se fit entendre dans le feuillage ; c’était un élan qui fuyait un loup-cervier. Macer tressaillit. — C’est Bléda, s’écria-t-il ; il ne m’aura pas. — Et, comme il l’avait dit à Hilda, il heurta sa tête contre le rocher avec tant de force, qu’au bout de peu d’instans il expira. Hilda s’élança en le voyant tomber ; quand elle arriva près de lui, il n’existait plus. La tête de Macer était fracassée et sanglante ; mais son visage conservait l’expression de dureté stoïque et de hauteur froide qu’il avait eue jusqu’au dernier moment.

Hilda couvrit à la hâte le cadavre de mousse et de feuillage, prononça sur lui une rapide et fervente prière, puis courut trouver Lucius. Que ce moment eût été doux pour elle, si elle avait eu seulement à lui dire qu’il n’était plus l’esclave de Gundiok ! Mais il fallait lui annoncer aussi qu’il n’avait plus de père. L’affreuse nouvelle foudroya Lucius. Il y a dans la douleur que cause la perte d’un père quelque chose de poignant et d’aigu qui manque à d’autres douleurs. On se sent atteint dans la source de sa vie ; il semble qu’un lien de chair se rompt au plus profond de notre être ; on se sent déraciné et blessé comme d’un coup de hache au cœur. S’il en est ainsi, même quand la mort ne brise qu’un rapport de famille entre deux âmes du reste à peu près étrangères l’une à l’autre, qu’est-ce donc, hélas ! quand celui qu’on perd était l’ami le plus tendre et le plus passionné de son fils ?

Macer n’avait jamais été un tel père pour Lucius ; cependant celui-ci ressentit un déchirement affreux dans ses entrailles en apprenant qu’il était désormais orphelin. Durant sa longue absence, il lui était souvent arrivé de passer bien du temps, à ce qu’il lui semblait, sans souci et sans mémoire du foyer paternel ; mais, en dépit de lui, son imagination s’y reportait et s’y reposait toujours. Alors l’image de son père lui apparaissait vague et lointaine. Il y avait toujours au fond de son cœur un secret désir d’aller plus tard soigner les dernières années du chef de famille en cheveux blancs. Depuis qu’ils étaient tous deux réduits en captivité, la tendresse filiale de Lucius avait redoublé, car le malheur développe toutes les affections sérieuses. En outre il y avait dans le genre de mort de Macer quelque chose d’atroce et de soudain qui en accroissait l’horreur. Lucius, malgré la présence d’Hilda, fut