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eut entre ces âmes rapprochées de si loin un pacte saint, une union tendre et sacrée, fondée sur une communauté de prière et d’espérance. Dès ce moment aussi, une vie nouvelle commença pour Lucius. Cette ame blasée avait besoin, pour renaître, des fortes secousses qui venaient de l’ébranler. Desséchée par le doute et les voluptés, elle ne pouvait se raviver que par la foi et l’amour. Ce qu’il y avait d’extraordinaire dans sa situation et dans celle d’Hilda, ce renversement des rapports sociaux au sein desquels il avait vécu, cette esclave qui était devenue l’arbitre de sa destinée et le guide de sa croyance, cette vie consumée dans la solitude après tant d’années passées au centre de la civilisation grecque et romaine, — toutes ces choses jetaient l’imagination de Lucius dans une sorte d’égarement qui lui permettait à peine de réfléchir sur le changement qui s’était opéré en lui. Il se laissait aller avec bonheur au sentiment de cette existence étrange née, comme tant d’autres non moins bizarres, de la grande subversion sociale qui s’accomplissait alors, et qui devait bouleverser toutes les positions, confondre tous les rangs, mêler toutes les races, et, par cette fusion immense, préparer l’unité des peuples modernes.

Deux soins partageaient et remplissaient la vie d’Hilda, celui de propager de plus en plus les semences de la foi chrétienne, surtout parmi les femmes de sa tribu, et celui de consoler et d’affermir Lucius. Le lieu où ils se réunissaient d’ordinaire était le lieu où tous deux ensemble avaient rendu à Macer les derniers devoirs et où une simple pierre plantée par eux marquait sa tombe. Quand le temps eut un peu adouci la douleur de Lucius, c’est là qu’il aimait à se trouver avec Hilda. Elle lui avait enseigné un sentier de chasseurs qu’elle avait découvert et par lequel il se rendait chaque jour auprès du tombeau paternel. Là, parmi les rochers qui occupaient le centre de la Vallée-Noire, l’ame de Lucius se retrempait au sein de cette forte nature. Étendu sur ces rochers, lui pour lequel autrefois il n’y avait pas de duvet assez moelleux, il attendait la venue d’Hilda. Le moment où il la voyait paraître illuminait son ame d’un rayon de joie, et tous deux passaient de longues heures dans des entretiens pleins de douceur et de tristesse.

Depuis qu’Hilda l’avait vu naître sincèrement à la foi, elle évitait de faire régner uniquement la religion dans ces entretiens ; elle ne voulait point fatiguer le néophyte qu’elle avait ramené. Changeant de rôle, elle devenait un auditeur attentif, tandis que Lucius lui expliquait, en souriant parfois d’une ignorance naïve qui l’enchantait, tout ce qu’il pouvait lui faire comprendre de ce monde auquel elle était étrangère, il éprouvait un grand charme à lui raconter les événemens et les aventures de sa vie : les plus ordinaires prenaient un aspect de nouveauté et de merveilleux en se réfléchissant dans l’imagination