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ignorante de la Barbare, et par là ces souvenirs acquéraient un plus vif intérêt aux yeux de Lucius lui-même. Son esprit, lassé des redites infinies qu’il trouvait dans les livres et les discours des hommes, se reposait et se rajeunissait délicieusement au spectacle de cette ame neuve et de cette pensée ingénue qui s’épanouissait librement sous son regard. Hilda, de son côté, jouissait avec délices du bonheur de voir s’ouvrir à son intelligence ces perspectives nouvelles que l’amour éclairait de sa lumière ; elle questionnait Lucius sur toutes choses pour avoir le plaisir de l’entendre répondre et pour se sentir à chaque réponse plus rapprochée de lui. Ainsi ces deux êtres que le destin avait faits si différens se développaient et se complétaient l’un l’autre : Lucius donnait à Hilda la maturité et la science, Hilda rendait à Lucius la jeunesse et la vie.

Unis par l’ame, vivant uniquement l’un pour l’autre dans la solitude, il était impossible qu’ils n’éprouvassent pas le besoin de confondre entièrement leur destinée. Lucius, subjugué par l’angélique nature d’Hilda, osait à peine laisser paraître à ses yeux une passion dont chacun de leurs entretiens solitaires augmentait l’ardeur. De jour en jour il souffrait davantage de tous les mouvemens qu’il réprimait. Pour Hilda, il lui semblait qu’elle ne désirait rien autre chose que de passer ainsi toute sa vie. Depuis que Lucius croyait comme elle, ses sentimens ne lui inspiraient plus aucune inquiétude ; mais, accoutumée à examiner son ame et à sonder sa conscience devant Dieu, elle ne tarda pas d’apercevoir avec confusion que les agitations contenues de Lucius, sans la gagner, ne lui étaient pas indifférentes, et qu’elle trouvait un sensible plaisir à les causer. Sa droiture naturelle et l’éducation morale que le christianisme lui avait donnée lui firent sentir le danger que l’innocence de son ame l’eût empêchée de comprendre. Cette découverte mit dans son maintien, dans son langage, dans toutes ses manières, un embarras dont Lucius s’aperçut et dont s’accrurent les émotions qu’il ressentait. Un jour, il ne put les contenir, et, voyant Hilda épouvantée de leur violence, il osa lui ouvrir toute son ame et parler d’un mariage chrétien, d’une sainte union pour la vie et pour l’éternité. Hilda était bouleversée en l’écoutant. Les paroles de Lucius et l’indicible bonheur qu’elles lui causaient achevèrent de déchirer les derniers voiles qui pouvaient encore lui cacher la nature des sentimens de son cœur. Être la compagne bénie de ce noble Lucius qu’elle avait aperçu comme un ange protecteur du fond de sa servitude, puis au salut duquel elle s’était dévouée avec un zèle dont le motif lui avait d’abord caché le caractère, de Lucius que la Providence avait amené avec elle dans un vallon de la Germanie pour qu’elle achevât de gagner à Dieu cette ame qu’elle aimait, c’était pour Hilda une félicité miraculeuse sur laquelle elle n’avait jamais osé arrêter sa pensée.