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atomistique, l’aristocratie non plus concentrée dans quelques grandes familles, mais éparpillée sur un territoire immense et incarnée dans le plus pauvre laboureur et dans le plus humble artisan.

Ce n’est point pour faire un vain parallèle historique que nous avons tiré cette ligne de séparation entre les deux civilisations. D’une part, nous avons voulu montrer combien cette démocratie était naturellement opposée à nos instincts et à nos tendances; de l’autre, nous avons voulu indiquer un fait qui déjà se prépare sourdement, et dont l’accomplissement tardera moins peut-être qu’on ne pourrait le supposer : l’union des deux grandes fractions de la race anglo-saxonne, de l’Angleterre et de l’Amérique. Il n’y a pas, à l’heure qu’il est, dans les deux pays, de tendance plus marquée que celle-là; une sorte de pressentiment d’un danger prochain et qui chaque jour s’avance pousse l’un vers l’autre ces deux grands peuples en dépit des anciennes rivalités, des passions populaires, des ambitions égoïstes. Sans doute les États-Unis seraient bien aises d’ajouter les noms des colonies anglaises du nord aux noms des états qui composent déjà leur territoire, sans doute l’Angleterre serait bien aise de conserver pour elle seule le commerce du monde et la domination des mers; mais ces deux grands pays sentent dans l’air de l’avenir qu’un même danger les menace dans leur puissance, et même dans leurs instincts, leur religion, leur indépendance. Bon gré mal gré, ils se rappellent qu’ils parlent la même langue, professent le même culte. A mesure que les États-Unis se civilisent, ils se découvrent de plus en plus des ressemblances singulières avec l’Angleterre; à mesure que l’Angleterre se démocratise, elle se sent plus de sympathie pour ses frères d’outre-mer. Cette union, vaguement prophétisée depuis long-temps, s’accomplit en fait de jour en jour. Unies par la communauté d’origine, ces deux nations le sont aussi par la communauté de tendances, de sorte que tout ce que l’une accomplit profite à l’autre. L’abrogation des vieilles lois de navigation et des lois sur les céréales n’a guère servi qu’à l’Amérique, et tout progrès accompli par l’Amérique dans les arts mécaniques ne sert guère qu’à l’Angleterre, car elle seule est en mesure de s’en servir et d’en profiter immédiatement. Il y a donc entre les deux pays un échange rapide, immédiat, presque instantané, de leurs progrès respectifs. L’audace des Anglo-Saxons d’outre-mer étonne et effraie toutes les nations; l’Angleterre seule ne s’en étonne pas, car, si rapide que soit l’accroissement des États-Unis, cette rapidité est égalée par l’accroissement que, depuis soixante ans, ont pris les districts manufacturiers de l’Angleterre et de l’Ecosse. New-York, depuis soixante ans, s’est élevé, il est vrai, de 60,000 à 400,000 habitans; mais Glasgow, dans le même espace de temps, s’est élevé de 77,000 à 367,000 habitans, et Birmingham de 73,000 à 300,000. M. Johnston, l’auteur des Notes on North America, le prouve par des chiffres authentiques. Si la jeune Amérique se vante