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de mode, et l’on ne retrouve dans les voyages nouveaux ni le même esprit ni le même ton. Les savans et les gens du monde, les élégantes ladies elles-mêmes qui visitent l’Amérique, en reviennent pleins d’admiration, et s’efforcent de faire partager au public leurs sentimens pour leurs cousins d’outre-mer. Tel est l’esprit qui a inspiré les livres de sir Charles Lyell le géologue, de M. Alexandre Mackay, mort tout récemment, de M. Johnston, professeur d’agriculture à Edimbourg, et de lady Emmeline Stuart Wortley. Aux États-Unis, il s’est formé une sorte de parti anglais qui demande une union plus étroite avec l’Angleterre, en se fondant sur la plupart des raisons que nous avons données. Personne n’a été un plus ardent promoteur de cette alliance que le dernier président, le brave général Taylor. Tous les voyageurs qui l’ont visité s’accordent à reconnaître les sentimens de concorde qui l’animaient. « Nous parlâmes de la Grande-Bretagne, raconte M. Johnston, et des bienfaits de l’union entre les deux nations. — Si l’Angleterre et les États-Unis s’accordent, dit-il, les deux pays peuvent maintenir la paix du monde. » Lady Emmeline Stuart Wortley le visita aussi; il lui parla de l’établissement de la ligne de paquebots connue sous le nom de ligne Collins, et il ajouta : « Le voyage deviendra ainsi de plus en plus rapide, et j’espère que l’Angleterre et l’Amérique, par ce moyen, seront bientôt tout-à-fait voisines. — Le plus tôt sera le mieux, monsieur, répondis-je de tout mon cœur. Il s’inclina et sourit. — Nous sommes le même peuple, continua-t-il, et il est bon que nous nous voyions le plus souvent possible. — Oui, et ainsi tous les vieux et détestables préjugés s’évanouiront. — Je l’espère, répondit-il, et ce sera à l’avantage de tous les deux. »

Comment cette alliance ne s’accomplirait-elle pas? Lorsque l’on considère attentivement le caractère américain, on s’aperçoit que le patriotisme des Yankees n’est au fond qu’un patriotisme de tête. Les Anglais et les Américains sont les deux races les plus nomades et cependant les moins cosmopolites de la terre. Pour eux, franchir l’espace n’est qu’un jeu; mais ils ne se laissent nulle part entamer par les qualités des peuples qu’ils visitent : ils gardent intacts leurs vices et leurs vertus. Les Anglais se sentent, en quelque lieu qu’ils se trouvent, attachés de cœur à la patrie absente, et chacun d’eux pourrait répéter la réponse de Fox au premier consul. Les Américains ont poussé ce nomadisme jusqu’aux dernières limites, si bien que, lorsqu’on s’informe à un Yankee de l’état de sa santé, il répondra invariablement : « En mouvement, monsieur; — moving, sir. » Mais nulle part on n’observe chez eux cet amour intime et profond de la patrie; leur patriotisme est un patriotisme de famille, de sang; c’est la croyance à la supériorité de leur race. Quant à l’Amérique, elle n’est pour eux qu’un moyen de puissance et de richesse, qu’une exploitation. Dans ce patriotisme, les hommes sont tout, le pays ne compte pour rien. De là le caractère