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c’est une éducation qu’il faut toujours recommencer, et par là les Américains du nord et du sud conservent leur influence et leur prépondérance; ils sont les maîtres de toutes les positions officielles et non officielles de l’ouest, les maîtres des camuses et des meetings, des écoles et des églises, des cours de justice et de la presse. Ainsi l’émigration accroît les forces de l’Union, et, grâce à l’énergie et à l’habileté des Américains, elle est impuissante à lui nuire. Socialement et matériellement, c’est une grande force : elle fournit d’excellens mineurs, des défricheurs infatigables, d’aventureux récolteurs d’or en Californie et d’admirables chasseurs, également capables de bien ajuster un loup ou un Indien; politiquement, son influence est peu de chose. Au sein du désert, où ils se rendent par essaims, les émigrans se trouvent soumis tout naturellement à la race anglo-saxonne, et dans les villes où leurs réunions et leur agglomération sont beaucoup plus dangereuses, à New-York et à Philadelphie par exemple, les Américains emploient les moyens les plus énergiques, non pour dissoudre et disséminer leurs bandes, réunies ordinairement dans les mêmes quartiers, ce qui serait difficile et illégal, mais pour leur faire sentir leur supériorité et en quelque sorte pour rester leurs maîtres. Là, le préjugé, l’orgueil national, la brutalité impérieuse des Américains, s’en mêlent, et de fréquentes collisions s’engagent entre les émigrans et les habitans du pays. Nous lisions, il y a quelques mois, le récit d’une de ces rixes qui seraient mieux nommées des combats, car le conflit s’engage entre des populations entières. Ce combat, qui se passait à Hoboken entre les Américains soutenus par les Irlandais et les Allemands soutenus par les Hollandais, nous transportait en esprit à ces guerres des temps antiques où les Hébreux, par exemple, luttaient contre les tribus des Philistins et des Ammonites pour préserver l’arche sainte des outrages d’idolâtres qui appartenaient à la même race d’hommes qu’eux-mêmes, ou aux premiers combats de la Grèce héroïque et de Rome contre les tribus latines. Ici, en Amérique, l’arche sainte, la cité, la patrie qu’il faut préserver des atteintes des tribus encore barbares de l’émigration, c’est la race établie dans le pays, c’est la race anglo-saxonne.

L’émigration, outre les bras et les forces matérielles qu’elle prête à l’Union, lui donne et lui donnera de plus en plus une force morale qui commence déjà à se faire sentir et qu’on ne remarque pas assez. Dans notre temps, où les masses ont été remuées jusque dans leurs dernières profondeurs sur tout le continent, où elles ont mis l’état en danger et n’ont été réprimées qu’à grand’peine, où le sentiment de la souffrance est si vif et où chacun supporte ses misères avec plus de difficulté qu’autrefois, dans ce temps où le mal-être n’est plus simplement une douleur, mais un fardeau intolérable, — un pays qui offre de si merveilleuses facilités pour l’emploi des bras et l’acquisition du sol a dû naturellement attirer les regards de tous les malheureux de