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de Lucius. Hier, il s’est montré compatissant pour Hilda. Qu’elle recueille adroitement parmi les autres esclaves ce qu’ils diront du jeune maître, et s’il s’approchait d’elle, entraîné par un penchant coupable, qu’il rougisse en entendant sortir de la bouche d’une esclave barbare des paroles dignes de celle qui est notre fille bien-aimée ! Qui sait si Dieu ne se servira pas d’elle pour le convertir, comme sainte Théodore convertit le jeune débauché auquel elle était livrée ? Quel bonheur ce serait pour l’église, si le fils de l’opulent duumvir embrassait la foi !

Tandis que l’évêque, dans la confiance de son zèle, se livrait à ces lointaines espérances, une pensée pénible avait passé sur le front de sa compagne. Malgré les efforts qu’elle fit pour la cacher, Maxime s’en aperçut, et il lui demanda la cause de cette tristesse subite.

— Hélas ! dit Priscilla, un mot que ta bouche a prononcé vient de réveiller en moi des souvenirs amers que je tente vainement d’écarter. Tu as appelé Hilda notre fille bien-aimée, et je n’ai pu m’empêcher, ajouta-t-elle en rougissant, de me rappeler que nous avons eu une fille jeune, belle, pieuse comme elle, que le Seigneur nous avait donnée, que le Seigneur nous a retirée. Que son nom soit béni ! ajouta Priscilla en étouffant un sanglot.

Maxime pâlit à ces paroles ; le cœur du père tendre battit violemment sous la robe de l’évêque : des sentimens habituellement contenus et comprimés se ranimèrent avec une sourde violence. Il s’y mêlait des souvenirs d’affection terrestre pour la femme qui était là devant lui, et qui avait été son épouse avant d’être sa sœur. D’anciens déchiremens qu’il croyait endormis se réveillèrent malgré lui dans ses entrailles : la plaie depuis long-temps fermée se rouvrit et saigna quelques instans. Il se passa au fond de son ame une lutte douloureuse qui le remplissait de confusion. Priscilla, plus confuse encore et plus troublée que lui, cachait dans ses mains son visage rouge de pudeur et baigné de larmes. Enfin l’évêque, s’élevant au-dessus de ce désordre secret par une puissante aspiration vers Dieu, dit d’une voix que sa volonté maîtrisait : — Sœur vénérée, il ne nous est pas permis de nous rappeler ce que nous fûmes dans le siècle avant d’appartenir complétement à Dieu. Celle dont tu viens de parler ne doit être nommée que dans le secret de nos prières ; son nom ne doit pas être prononcé à haute voix entre nous. Nous ne devons la considérer que dans l’état glorieux où j’espère qu’elle est maintenant élevée, afin que cette sainte ne soit point pour nous une occasion de chute intérieure, en nous replongeant dans les réminiscences du siècle, mais que nous soyons réunis avec elle en ce lieu où, selon les chastes paroles de l’apôtre, il n’y a plus d’hommes et de femmes, où toutes les âmes sont les épouses bienheureuses de l’époux céleste.

Après avoir dit ces paroles d’un accent ferme et convenable à la