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Le Cyparisse restera comme une des œuvres les plus gracieuses de Pradier. Le corps du jeune pâtre est un modèle de jeunesse ; il faut remonter jusqu’à la Grèce pour trouver un torse aussi délicat, des membres aussi tins, aussi habilement modelés. Le mouvement du corps s’accorde à merveille avec l’action que l’auteur a voulu représenter. Qu’est-ce que le sujet ? Peu de chose assurément. Toutefois, sous le ciseau de l’artiste, ce sujet en apparence si insignifiant a pris de l’importance. Un berger qui courbe une branche pour offrir une baie à son cerf favori, il n’y a sans doute là rien qui éveille l’imagination ; mais Pradier a traité toutes les parties de ce beau corps avec tant de soin et de hardiesse que le spectateur oublie le sujet pour ne penser qu’à l’exécution ; or l’exécution mérite les plus grands éloges. Ce n’est pas l’élégance froide et symétrique de l’Apollon du Belvédère, c’est la jeunesse du Bacchus connu sous le nom d’Apolline. Les plans musculaires de la poitrine et des membres accusent le premier épanouissement de la virilité. Je regrette d’avoir à condamner la tête de Cyparisse comme absolument dépourvue d’expression. Rien dans le visage n’indique la pensée du personnage, ni regard dans les yeux ni sourire sur les lèvres. Il est évident que l’auteur a dépensé toute son habileté, tout son savoir dans l’achèvement du torse et des membres ; puis, l’heure venue de donner une tête à ce beau corps, au lieu de chercher dans la nature un type qui s’accordât avec le sujet, il a pris le premier venu parmi les masques accrochés aux murailles de son atelier. Il avait consulté le modèle vivant pour le torse et les muscles, il s’est contenté d’estamper la tête sur un masque moulé. Il ne faut vraiment pas une grande sagacité pour apercevoir la faute que je signale. La poitrine et les bras ont tant de réalité, les contractions musculaires sont indiquées si nettement, qu’il n’est pas permis d’y voir l’œuvre pure du souvenir : c’est un ensemble de morceaux exécutés d’après nature. Quant aux traits du visage, il n’y en a pas un qui s’accorde, je ne dis pas seulement avec le caractère du sujet, mais avec le caractère du corps. Des pommettes au menton, il n’y a qu’un seul plan. Je suis tenté de croire que Pradier, pour la tête de son Cyparisse, n’a pas même choisi une bonne épreuve et s’est contenté d’une épreuve sur moulée. C’est une négligence singulière et qui ne peut être passée sous silence.

Depuis quelques années, les figures païennes de Pradier se sont multipliées avec une rapidité qui n’a pas laissé au public le temps de se reconnaître. Le charme de l’exécution a été poussé si loin dans tous ces sujets empruntés à la mythologie, qu’il s’est rencontré à peine quelques esprits assez attentifs pour comparer l’œuvre à l’idée. Il me semble que le moment est venu de juger Pradier comme nous jugeons les morts illustres. Quoiqu’il ait quitté la terre depuis six semaines à peine, nous pouvons parler de lui en toute liberté. Si ce n’est pas en effet un