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par sa beauté singulière. Quant au satyre, bien qu’il rappelle trop fidèlement une figure placée dans le jardin de la villa Ludovisi, je reconnais volontiers qu’il exprime à merveille la concupiscence. Tout le corps de la jeune fille est rendu avec une rare élégance, et le corps du satyre respire une virilité exubérante. C’est là sans doute un mérite très digne d’attention, mais qui ne saurait pourtant fermer nos yeux à l’évidence. Le groupe de la Bacchante et le Satyre, je ne dirai pas très sagement conçu, mais très habilement copié, absurde quant à la donnée supposée par le statuaire français, très remarquable assurément sous le rapport de l’exécution, ne pourra jamais marquer la place de l’auteur parmi les artistes qui ont fait de la pensée leur plus chère volupté. C’est une œuvre purement sensuelle ; ce n’est pas une œuvre conçue selon les conditions fondamentales de la statuaire. Que les artistes ne s’y trompent pas, les sujets représentés dans le musée secret de Naples, excellens pour l’ignorance, méritent à peine l’attention des connaisseurs. On y compterait tout au plus deux ou trois peintures où la lubricité n’a pas tué l’élégance ; le reste ne vaut pas même un regard. La Bacchante et le Satyre de Pradier ne sont pas capables de fonder la renommée d’un artiste nouveau ; signés d’un nom déjà connu, ils ne peuvent en augmenter la splendeur.

La Phryné a réuni de nombreux suffrages, et certes il y a dans cette œuvre des parties qui justifient l’admiration populaire. Cependant il ne faudrait pas en exagérer la valeur. Bien que le caractère du personnage se prête à toutes les fantaisies, il ne faudrait pas accepter comme parfaite la courtisane que Pradier a offerte à nos regards. J’admets volontiers, et comment ne l’admettrais-je pas ? que Phryné se complaise dans une attitude lascive, puisqu’elle vivait de sa beauté, mais je ne saurais comprendre pourquoi toutes les parties de son corps ne sont pas du même âge, pourquoi le ventre a cinq ans de plus que la poitrine, pourquoi les bras sont plus jeunes que les cuisses, pourquoi, en un mot, la partie supérieure du corps exprime la virginité, tandis que la partie inférieure exprime la maternité ; c’est un caprice que les juges les plus indulgens ne sauraient amnistier.

La Poésie légère, très applaudie, et qui certes méritait de l’être, envisagée sous le rapport de l’exécution, ne résiste pas à l’analyse dès qu’on veut s’occuper de la nature même du personnage. Qu’est-ce en effet que la poésie légère ? Nous connaissons la poésie épique, la poésie dramatique, la poésie lyrique, et les théoriciens complaisans ont ajouté à cette liste déjà complète la poésie didactique. La poésie légère est une invention toute moderne, dont les Crées n’ont jamais entendu parler. Bernis, Voisenon, Grécourt, sont les disciples de cette muse nouvelle. Je pardonnerais de grand cœur à Pradier d’avoir cherché dans le marbre le type de la poésie légère, s’il eut consenti à tenir compte