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de son sujet ; mais sa Poésie légère est une danseuse et rien de plus. Le musée de Nîmes, qui la possède aujourd’hui, devrait la baptiser du nom de Terpsichore, car c’est le seul nom qui lui convienne. Est-ce une figure nouvelle ? Je ne puis consentir à le croire, car les merveilles d’Herculanum et de Pompéi, bien que travesties par la gravure, nous offrent plus d’une fois le type de la poésie légère tel que l’a conçu Pradier. On peut voir dans le musée Borbonico une trentaine de danseuses parmi lesquelles Pradier n’a eu que l’embarras du choix. Reste la question de l’exécution, et je proclame avec plaisir que les diverses parties de cette figure se recommandent par une réalité saisissante. Le corps est généralement beau ; mais je suis pourtant forcé de le juger comme je jugeais tout à l’heure le corps de la Phryné. Toutes les parties n’ont pas le même âge. On dirait que l’auteur, désespérant de trouver dans la jeunesse et la virginité des traits capables d’exciter la convoitise des vieillards, est descendu jusqu’à la transcription des détails que l’âge mûr possède seul, mais qui charment les accusateurs de Suzanne. C’est là sans doute un triste commentaire que je voudrais pouvoir m’interdire ; malheureusement, j’ai beau suivre le conseil donné par un sage de la vieille Grèce, j’ai beau tourner sept fois ma langue avant d’ouvrir la bouche, je ne trouve pas pour ma pensée une forme plus discrète et plus indulgente. J’admire l’exécution de la Poésie légère ; qui pourrait en effet en contester la souplesse et l’élégance ? mais je ne puis accepter cette figure comme l’image d’une muse, car les muses étaient vierges, et toutes les parties de leur corps gardaient le caractère de la jeunesse.

La Flora ou le Printemps soulève les mêmes objections que la Poésie légère. C’est la même finesse d’exécution et la même lasciveté dans les détails. La Flora n’est pas jeune des pieds à la tête. La partie supérieure du corps nous éblouit par sa fraîcheur et sa grâce. Quant à la partie inférieure, je n’en puis dire autant. Non-seulement le ventre n’est pas jeune, mais les hanches ont un développement que la virginité n’a jamais connu, et les malléoles sont engorgées comme au temps de la grossesse. De la part de Pradier, qui avait étudié l’aspect du corps à ses différens âges, je ne m’expliquerais pas une pareille bévue, si je ne connaissais pas sa passion pour la popularité. Il savait le public français incapable de goûter la statuaire conçue d’après les lois fondamentales de l’art, et par une condescendance que je comprends, mais que je n’excuse pas, il s’est adressé aux sens au lieu de s’adresser à la pensée. Les applaudissemens qu’il a recueillis n’entament pas ma conviction, car, sans vouloir attribuer à mon jugement une autorité souveraine, ce qui serait de ma part une ridicule présomption, je n’ai jamais tenu compte du succès. Je connais trop bien la part de l’ignorance et du mensonge dans les ovations auxquelles j’ai assisté