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son gouvernement de Normandie et rappelée par l’hôtel de Rambouillet[1], partout poursuivie de soins et d’hommages, et montrant partout une douceur pleine de charme, avec la nonchalance qui ne l’abandonnait guère lorsque son cœur n’était pas occupé. Et il ne l’était pas encore, ou il ne l’était qu’à la surface. Elle n’aimait point, mais elle avait distingué dans la foule de ses adorateurs Maurice, comte de Coligny, le frère aîné de Dandelot, le fils du maréchal de Châtillon, qui avait soupiré pour elle avant son mariage, et ne s’était pas retiré devant un mari de quarante-sept ans, peu jaloux, et même encore dans les chaînes d’une autre.

Il est bien surprenant que les mémoires contemporains se taisent absolument sur Coligny, sur son caractère, son esprit, sa personne. Tout ce que nous savons, c’est qu’il était un des amis particuliers de La Rochefoucauld, et surtout du duc d’Enghien[2], qui l’employa dans plus d’une négociation délicate. Nous avouons qu’un tel silence n’est guère en sa faveur; mais répondons-nous à nous-même que Coligny était jeune, qu’il n’avait pas eu le temps de se faire connaître, et qu’il a été naturellement éclipsé par son cadet Dandelot, qui succéda à son titre, et prit sa place auprès de Condé, dont il devint un des meilleurs lieutenans. Dans l’absence de tout autre document, un manuscrit de la Bibliothèque nationale, auquel déjà nous avons eu recours, nous fournit quelques détails dont nous ne garantissons point l’exactitude, mais qu’il ne nous est pas permis de négliger faute de mieux. Ce manuscrit, qui a pour auteur un M. de Maupassant, attaché au prince de Condé, nous représente Coligny comme très bienfait, sans avoir pourtant une tournure fort élégante, de beaucoup d’esprit, de beaucoup d’ambition, avec une médiocre réputation de courage, accusation étrange et tout-à-fait invraisemblable envers un Châtillon et un ami de Condé. Maupassant, prenant l’apparence pour la réalité, suppose aussi que Mme de Longueville partageait les sentimens de Coligny, parce qu’elle ne les rebutait pas, et il peint de couleurs assez romanesques les commencemens de leurs prétendues amours. Nous donnons le passage entier en l’abandonnant au jugement du lecteur[3] :

« Anne de Bourbon, duchesse de Longueville, estoit alors une des plus aimables personnes du monde, tant par les charmes de son esprit que par ceux de sa beauté. Coligny, fils aisné du maréchal de Châtillon, l’aimoit passionnément, et l’on dit qu’il estoit aimé. C’estoit un garçon de fort belle taille, mais qui avoit plustost l’air d’un Flamand que d’un François. Il avoit de l’esprit infiniment et des pensées vastes et grandes, mais on croit que sa valeur n’égaloit pas son ambition.

  1. Manuscrits de Conrart, t. X, p. 943 et 968, t. XIII, p. 340.
  2. Mémoires de La Rochefoucauld, collection Petitot, t. LI, p. 370 et 386.
  3. Bibliothèque nationale, Supplément français, n° 925.