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royaume, à déjouer toutes les trames des importans, et par là il s’en fit d’ardens ennemis.

Leur haine pour la maison de Condé rejaillissait à peine sur Mme de Longueville. Sa douceur dans toutes les choses où son cœur n’était pas sérieusement engagé, sa parfaite indifférence politique à cette époque de sa vie, avec les grâces de son esprit et de sa figure, la rendaient aimable à tout le monde et la protégeaient contre l’injustice des partis. Mais, en dehors des affaires d’état, elle avait une ennemie, et une ennemie redoutable, dans la duchesse de Montbazon. Nous avons dit que Mme de Montbazon avait été la maîtresse de M. de Longueville; il faut la faire un peu plus connaître, car elle est un des principaux personnages du drame que nous avons à raconter.

Marie de Bretagne, née vers 1612, morte à quarante-cinq ans en 1657, était la fille aînée de cette fameuse comtesse de Vertus dont le père était La Varenne Fouquet, maître d’hôtel et serviteur très complaisant d’Henri IV. Le comte de Vertus, de l’illustre maison de Bretagne, avait épousé Mlle de La Varenne à cause de son extrême beauté, et il s’était empressé de la tirer de Paris et de l’emmener chez lui. Il n’y gagna rien, et Tallemant[1] nous a raconté de la belle comtesse une histoire galante, terminée de la plus tragique manière. La fille était digne de sa mère par sa beauté, et elle la laissa bien loin derrière elle par ses vices. Mariée en 1628 au duc de Montbazon, le père de Mlle de Chevreuse, lorsqu’il était déjà vieux[2] et qu’elle était encore au couvent, elle se mit bientôt à son aise. L’esprit n’était pas son plus brillant côté, et le peu qu’elle en avait était tourné à la ruse et à la perfidie. « Son esprit, dit l’indulgente Mme de Motteville[3], n’étoit pas si beau que son corps; ses lumières étoient bornées par ses yeux, qui commandoient qu’on l’aimât. Elle prétendoit à l’admiration universelle. » Sur son caractère, tous les témoignages sont unanimes. Retz, qui la connaissait bien, en parle ainsi[4] : « Mme de Montbazon étoit d’une très grande beauté. La modestie manquoit à son air. Son jargon eût suppléé dans un temps calme à son esprit. Elle eut peu de foi dans la galanterie, nulle dans les affaires. Elle n’aimoit rien que son plaisir, et au-dessus de son plaisir son intérêt. Je n’ai jamais vu une personne qui ait conservé dans le vice si peu de respect pour la vertu. » Souverainement vaine et aimant passionnément l’argent, c’est

  1. Tallemant, t. III, p. 407.
  2. Né en 1567, mort quelques années avant sa femme, en 1654, à l’âge de quatre-vingt-sept ans.
  3. Mémoires, t. 1er, p. 46.
  4. T. Ier, p, 221. — Il en cite, ainsi que Tallemant et même M, de Motteville, des choses incroyables. Les recueils de chansons du temps abondent en épigrammes outrageantes contre elle. Voyez le Recueil de Maurepas à la Bibliothèque nationale et les recueils de Chansons historiques de la bibliothèque de l’Arsenal.