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voie[1]. Après Coligny, le brave et présomptueux Miossens, depuis le maréchal d’Albret, fit une cour longue et passionnée à Mme de Longueville, et il échoua comme les autres. Elle était trop jeune encore et trop près des habitudes de sa pure et pieuse adolescence; elle n’avait pas encore atteint l’âge fatal aux intentions les plus vertueuses : son heure n’était pas venue. Elle vint plus tard, quand Mme de Longueville eut plus connu le monde et la vie, et respiré plus long-temps l’air de son siècle, quand son frère avait oublié la chaste grandeur de ses premières amours, quand l’amie qui la pouvait soutenir, la belle et noble Mlle du Vigean, n’était plus à côté d’elle, quand son mari était éloigné, quand enfin, lasse de combattre et plus que jamais éprise du bel esprit et des apparences héroïques, elle rencontra un personnage jeune encore et assez beau, d’une bravoure brillante, qui passait pour le modèle du dévouement chevaleresque, qui sut habilement intéresser son amour-propre dans ses projets ambitieux et la séduire par l’appât de la gloire. La Rochefoucauld fut le premier qui toucha l’ame de Mme de Longueville; il le dit, et nous l’en croyons. Nous plaçons les commencemens de leur liaison un peu avant le départ de Mme de Longueville pour l’ambassade de Munster, leur intimité à son retour, l’éclat de leurs amours de 1648 à 1652; mais en 1643 Mme de Longueville en était encore à la noble et gracieuse galanterie qu’elle voyait partout en honneur, qu’elle entendait célébrer à l’hôtel de Rambouillet comme à l’hôtel de Condé, dans les grands vers de Corneille comme dans les petits vers de Voiture. Elle se complaisait à faire sentir le pouvoir de ses charmes. Mille adorateurs s’empressaient autour d’elle. Coligny était peut-être un peu plus près de son cœur, il n’y était pas entré. Mais on ne badine pas impunément avec l’amour. Un jour il coûtera bien des larmes à Mme de Longueville. Ici sa victime fut l’aîné des Châtillon, qui périt à la fleur de l’âge, de la main de l’aîné des Guise, pour venger celle qu’il aimait. Cette tragique aventure, bientôt répandue par tous les échos des salons, par la chanson et par le roman, jeta d’abord un sombre éclat sur la destinée de Mme de Longueville, et lui composa de bonne heure une renommée, à la fois aristocratique et populaire, qui la préparait merveilleusement à jouer un grand rôle dans cette autre tragi-comédie héroïque et galante qu’on appelle la Fronde.


V. COUSIN.

  1. Mémoires de La Rochefoucauld, coll. Petitot, t. LI, p. 393.